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ou seulement rejetée sur le second plan, elle dira bien haut que l’auteur peut avoir de, l’esprit, mais qu’il n’a point de cœur ; si le vieil obstiné, old obstinate, ne voit point pour lui la chance de paraître sous ses habits d’amiral usés à la scène par d’honorables services, il demandera pourquoi l’on s’étonne de la décadence du théâtre, puisque le théâtre anglais abandonne les gloires nationales. Plus que tous encore, le low comedian est un tyran de bonne humeur qu’il importe de courtiser. Non-seulement il veut jouer et avoir de l’esprit, mais encore il ne souffre pas que les autres en aient autour de lui ; à l’entendre, il a trop de conscience pour rester dans un théâtre où il ne ferait rien. Qu’on juge par-là des embarras du jeune écrivain qui se hasarde dans la carrière !

N’oublions pas non plus que chaque théâtre de Londres est entre les mains d’un acteur principal, qui remplit en même temps les fonctions de directeur. Au point de vue technique, ce système peut avoir des avantages ; mais ne présente-t-il pas aussi des inconvéniens graves ? Je crois qu’il tend à exclure une réunion suffisante de talens dramatiques. Pour rien au monde, Charles Kean par exemple ne voudrait servir à Sadler’s-Wells sous Philippe Phelps. D’autres tragédiens, tels qu’Anderson, Brooke et Charles Dillon, sans doute pour la même cause, vivent plus ou moins à l’état errant ; or c’est un proverbe anglais que « pierre qui roule n’amasse pas de mousse, » et c’est une vérité aussi que le jeu des acteurs n’acquiert point un certain degré de perfection sans se fixer à un théâtre. Si, comme il arrive souvent, le manager est une femme, l’objection devient encore plus forte, car on pense bien qu’elle ne souffre guère de rivales dans sa maison. Comme chacun de ces artistes-directeurs excelle dans un genre particulier, il est en outre tout naturel qu’il cherche à imposer sa forme, si je puis ainsi dire, au théâtre qu’il dirige. Cette souveraineté des acteurs ne doit-elle pas nuire aux intérêts sérieux du drame ? Dans cet état de choses en effet, le drame ne représente plus la vie humaine ; il représente les conditions de Ta troupe et surtout les qualités ou les défauts de celui qui la dirige. On a ainsi de petites églises de l’art où triomphent des individualités fortes, mais a-t-on bien un théâtre ?

Dans ces derniers temps, quelques organes de la presse anglaise ont demandé que le gouvernement intervînt et payât une subvention, comme en France, à certains théâtres de drame. Je doute que le gouvernement britannique ait jamais eu l’intention d’obéir à ces conseils ; mais qui ne voit que l’organisation actuelle des théâtres de Londres serait un obstacle à une telle mesure ? Je comprends que l’autorité tienne à conserver le dépôt des chefs-d’œuvre dramatiques et qu’elle protège à ce point de vue une réunion d’acteurs ; je ne