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au théâtre. Pour hâter cet heureux résultat, il a offert des prix considérables à celui qui produirait un bon drame ou une bonne comédie ; mais quelle rosée d’or pourrait féconder dans le champ de la littérature des œuvres dont le germe n’existe point pour le moment ? L’Adelphi Theatre vient pourtant de saisir un de ces succès qui promettent de meilleurs jours. On n’entend depuis six mois qu’un mot dans Londres : « Avez-vous vu Colleen Bawn ? » Cette pièce, tirée d’un roman de M. Gerald Griffin, les Collégiens (the Collegians), nous transporte au milieu des lacs et des chaumières de la verte Irlande. L’auteur du drame, M. Dion Boucicault, joue lui-même sur la scène le rôle d’un jeune Irlandais naïf, et sa femme, mistress Boucicault, celui d’une jeune paysanne tendre et vertueuse. Une sorte de fraîcheur primitive, des situations touchantes, des points de vue agrestes, une peinture des mœurs irlandaises qui a le mérite assez rare de n’être point trop chargée en couleur, les grandes scènes de la nature heureusement mêlées aux péripéties du cœur humain, ont fait la fortune de cette églogue dramatique, dont le succès n’est point encore épuisé après cent cinquante représentations.

L’Adelphi a un rival dans le Liceum Theatre, situé au coin d’une rue voisine qui débouche sur le Strand. La première salle du nom de Liceum fut bâtie vers 1765 pour servir d’académie de peinture. Nous la trouvons plus tard convertie en une salle de concerts, puis en un panorama où quelqu’un lisait la description des endroits célèbres représentés sur la toile. L’édifice du Liceum, tel qu’il existe aujourd’hui, ne date que de 1830. La direction du Liceum Theatre fut pendant un temps entre les mains d’une actrice française, Mme Vestris. Une femme manager était une assez grande nouveauté dans un pays où, comme on sait, les femmes n’ont paru sur la scène qu’après l’époque de la restauration des Stuarts. Les choses pourtant ont bien changé depuis : non-seulement les théâtres de Londres doivent beaucoup au talent des actrices, mais encore quelques-unes d’entre elles gèrent les intérêts de grandes entreprises dramatiques. À la tête de ce même théâtre du Liceum est maintenant une autre actrice française, Mme Céleste. La destinée de cette étoile errante est des plus singulières. Née à Paris en 1814, Mlle Céleste entra bien jeune comme élève à l’Académie royale de Musique. Dès quatorze ou quinze ans, elle jouait sur d’obscurs théâtres de la banlieue, lorsqu’on lui offrit un engagement en Amérique. Elle l’accepta et parcourut presque toutes les villes des États-Unis. Comme signe d’alliance avec la race anglo-saxonne, qu’elle ne devait plus abandonner, elle épousa au Nouveau-Monde un gentleman du nom d’Elliot, qui mourut après quelques années, lui laissant une fille, mariée aujourd’hui à Baltimore. En 1830, Mme Céleste quitta l’Amérique et fit voile vers l’Angleterre.