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bien qu’il n’en soit pas ainsi : la comédie et la farce, en attendant l’opéra, vont reprendre possession de ce même théâtre où Shakspeare régnait presque toute l’année sur un peuple fervent d’adorateurs. Si je nomme toujours Shakspeare, c’est que seul, parmi les auteurs dramatiques de la grande époque d’Elisabeth, il a encore le pouvoir d’arracher de temps en temps les masses à leur indifférence. Les autres, malgré d’éminentes qualités que reconnaissent les Anglais, n’ont reparu à d’assez longs intervalles sur la scène que comme des météores. On les lit, on ne les joue plus. Trois hommes ont fait, il y a quelques années, de généreux efforts pour renouveler le drame littéraire : je parle de Douglas Jerrold, de Bulwer et de Sheridan Knowles. Le premier est mort, les deux autres vivent encore, mais ne travaillent plus pour la scène. Sheridan Knowles, dont tout le monde honore le caractère et aime le talent, fait aujourd’hui des lectures religieuses dans les chapelles. Cette alliance des facultés théâtrales et des idées mystiques étonnerait peut-être en France, mais n’a rien qui surprenne en Angleterre, où le drame sérieux, est considéré comme la moins profane des occupations de l’esprit. Ces trois écrivains ont laissé, derrière eux sur la scène anglaise des pièces qui sont devenues populaires en naissant : Douglas Jerrold, Suzanne aux yeux noirs ; Bulwer, la Dame de Lyons et. l’Argent ; Sheridan Knowles, le Bossu, Guillaume Tell, la Rose d’Aragon, la Chasse d’amour et quelques autres. La plupart de ces drames, qui ont aujourd’hui droit de cité sur tous les théâtres, servent encore de temps en temps à mettre en relief les débuts de quelques acteurs et de quelques actrices ; mais ils ont perdu la fraîcheur de la nouveauté et n’ont guère été remplacés jusqu’ici. De Drury-Lane si nous passons à Covent-Garden ? nous trouverons le culte de Shakspeare encore plus négligé.

L’origine de Covent-Garden-Theatre remonte à Davenant, qui, en même temps que Thomas Killigrew, avait extorqué à Charles II le privilège de mêler le drame à la musique. Ce théâtre, bâti par Rich, le célèbre arlequin, fut ouvert au public en 1733. Les acteurs prirent d’abord le nom de la troupe du duc. C’étaient les mêmes qui jouaient auparavant sur un autre théâtre, dans Portugal-Row, avec William Davenant à leur tête. Rich, comme régisseur, était ce qu’on appellerait de nos jours un homme d’affaires. On lui reproche d’avoir introduit dans le public anglais le goût de la parade. Quoique sans éducation[1], il eut, comme on dit, la main heureuse en faisant représenter l’Opéra du mendiant (Beggar’s opera). Cette pièce eut un succès fou à cause des allusions qui y étaient dirigées

  1. Il disait mister au lieu de sir en s’adressant à quelqu’un dans la conversation.