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d’un roi ! Paix à son âme, malgré les folies et les faiblesses dont l’accuse l’histoire, car elle eut dans sa vie une bonne pensée[1] ! — Je vois passer mistress Oldfield, célèbre par sa beauté, ses grâces et sa voix au timbre d’argent, qui firent le succès des pièces de Steele ; Wilks, le plus beau gentleman de son temps, et Cibber, le fameux coxcomb (il jouait les rôles de fat), avec cette monumentale perruque dont il était amoureux, qu’il faisait venir sur la scène dans une chaise à porteurs, et qu’il ajustait fièrement devant tout le monde. N’est-ce point maintenant Garrick, le prodige de la scène anglaise, qui s’avance avec un double visage, le rire et les larmes, la tragédie et la comédie ? Et quand le règne de Garrick touche à sa fin, qui vient ramasser les fleurons de cette couronne tombée ? Parsons, Dodd, Quick, les Palmers, miss Pope, qui, ayant joué dans la tragédie, animait par instans la comédie d’une émotion qui enlevait tous les suffrages ; miss Abingdon, la plus brillante satirist de son sexe ; miss Farren, qui, grande et faible, avait les grâces de la délicatesse… Mais ici les ombres s’effacent et vont faire place à des souvenirs qui vivent encore dans l’esprit de quelques contemporains. Le commencement de notre siècle fut pour le drame, pour la comédie et pour le vieux Drury-Lane une époque mémorable : il suffira de rappeler les noms de miss O’Neil, d’Edmund Kean, de Charles Young, de Mathews et de Macready. Ce dernier vit encore, mais il s’est depuis quelques aimées retiré de la scène. À une courte période de gloire succéda un temps de décadence et de morne stérilité. Quelques-uns accusent l’indifférence du public, d’autres, les prétentions exagérées des acteurs, d’avoir amené le déclin du drame anglais. Quoi qu’il en soit, le Drury-Lane-Theatre était tombé si bas comme entreprise commerciale que nul ne voulait plus courir les risques de la direction. À la fin, M. James Anderson eut le courage de s’en charger ; mais, en dépit d’honorables efforts, il ne put rendre la vie dramatique à ce théâtre, et aujourd’hui Drury-Lane est dans les mains de M. E. T. Smith. L’opéra, du moins pendant une partie de l’année, remplit maintenant la solitude de cette vaste salle, où le génie de Shakspeare, interprété par de grands acteurs, suffisait naguère pour attirer la foule. Un événement dramatique vient pourtant de rappeler, il y a deux mois, sur Drury-Lane l’attention du public : c’est la réapparition à Londres (reappearance) de M. Charles Kean et de sa femme. Charles Kean a le malheur d’évoquer, de ramener avec lui sur les planches la mémoire accablante de son père[2]. On se souvient encore,

  1. C’est elle qui suggéra, dit-on, à Charles II l’idée d’élever l’hôpital de Chelsea pour les vieux soldats. Elle fit même, dans cette intention, présent au roi d’une terre qui lui appartenait.
  2. Voyez, sur les deux Kean, une étude de M. Forgues, Revue du 15 novembre 1859.