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avions remarqué l’Invalide suédois racontant ses campagnes, rien de quelques peintres du Danemark célèbres au-delà du Rhin, comme M. Exner, qui avait envoyé d’excellentes scènes d’intérieur, M. Schleissner, M. Monies, M. Marstrand enfin, qui devrait faire connaître au public parisien ses scènes d’après les comédies de Holberg, ses meilleures œuvres jusqu’à ce jour. Nous avons du moins un tribut considérable de Mme Elisabeth Jerichau, qui avait déjà à l’exposition universelle un beau portrait. Née polonaise, instruite à Rome, où elle a épousé le sculpteur danois Jerichau, cette habile artiste, dont les œuvres sont dispersées aujourd’hui dans les principales galeries du Danemark, de l’Angleterre et des États-Unis, s’est assimilé, en gardant son originalité propre, la nationalité que, par son mariage, elle adoptait. Assez longtemps élève des maîtres de Dusseldorf et vivant désormais dans le milieu Scandinave, elle ne se rapproche cependant de la peinture de genre, dont nous venons de signaler quelques principales œuvres, que par la communauté de sentimens profonds et sérieux ; son pinceau montre d’ailleurs une manière vive et large, un faire expérimenté et en même temps une conception facile, qui lui assureraient dans toute école et qui lui donnent dans toute exposition publique une place distinguée avec le privilège d’arrêter et de fixer l’attention. Sa Lecture de la Bible, un des principaux tableaux de son envoi de cette année, procède évidemment de la même source intellectuelle et morale que nous avons reconnue comme l’une des plus familières à l’école du Nord. Nous y retrouvons la recherche du costume en même temps que l’étude du sentiment religieux. La juste limite, si délicate, n’est-elle en aucun point dépassée ? L’effet général de la scène gagnerait-il à être resserré dans un cadre de dimensions un peu moindres ? La poursuite du naturel entraîne-t-elle l’auteur sur le seuil du réalisme ? Nous avons entendu faire ces questions parmi les groupes de spectateurs qui ne manquent pas de se former en face de l’œuvre de Mme Jerichau. À côté de la Lecture de la Bible, Mme Jerichau a encore un certain nombre de tableaux de petites dimensions, tableaux de costume et de mœurs nationales, qui continuent à la ranger dans le groupe que nous étudions.

L’école des paysagistes Scandinaves, surtout norvégiens, est, avons-nous dit, fort remarquable. On peut en juger cette fois par deux tableaux de MM. Gude et Martin Muller. Un Matin dans les hautes montagnes de Norvège est assurément une œuvre remarquable. On critique le premier plan comme trop brillant et ne se mariant pas par une transition assez douce aux plans intermédiaires et à ceux de l’horizon ; mais peut-être est-ce un effet réel du matin qui, sous les premiers rayons du soleil, produit en un relief presque brillante les objets les plus voisins, tandis qu’une fraîche vapeur enveloppe encore les plus éloignés ; il faut tenir compte, en second lieu, de la transparence particulière à la lumière du Nord. D’ailleurs, quelle magnifique nature admirablement interprétée ! Nous avons devant les yeux un fiord qui a pénétré dans les terres. Des milliers d’îles divisent les eaux et les parent de verdure ; la rive occidentale ne fait que s’éveiller sous le soleil, qui commence à dépasser le mur de rochers situé à l’orient, tandis que la rive opposée est encore baignée dans l’ombre, et que les plateaux, les hauts pâturages et les sommets reçoivent déjà la pleine lumière ; des glaciers enfin,