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du plafond éclaire la triste scène. — Le malheur a passé, les enfans ont grandi : la mère fait l’éducation de ses deux filles ; son visage est radieux de la conscience du grand devoir qu’elle remplit ; le père enseigne au fils la fabrication du filet et la pêche au flambeau. Les années s’écoulent ainsi dans le travail ; déjà les fils aînés sont partis pour le fiord ; l’heure est venue pour le dernier-né de quitter, lui aussi, le foyer paternel : le voilà avec son bâton de voyage et son havresac pendu au côté ; il n’a plus qu’un pied sur le seuil de la chaumière ; son père, aux longs cheveux gris, le conduit et le retient encore ; la mère suit en pleurant. Et le lendemain, dans la cabane propre et brillante, qu’une pure lumière illumine par la fenêtre sans rideaux, en face d’une table de bois habilement façonnée, les deux époux, redevenus seuls, sont assis : le vieillard, à la tête chauve, mais droit et ferme, lit la Bible à haute voix ; sa femme, au visage ridé, mais calme et souriant, écoute avec foi et reconnaissance. « Ils sont arrivés au repos du soir, dit le poète norvégien, M. Munch, qui a commenté habilement ces peintures[1], et ils n’ont pas peur de la nuit… Les rejetons ont dû se séparer de la tige ; celle-ci seule doit sécher ; elle ne portera plus sur la terre aucune feuille, aucune fleur, aucun fruit. Ils le savent et remercient leur Dieu. D’ailleurs ils ne restent pas seuls dans l’asile de leur vieillesse : autour d’eux et en eux sont tous les souvenirs ; devant eux et pour eux s’ouvre le saint livre où ils lisent la paix de l’éternel bonheur. Bientôt le sol de la patrie les couvrira, leur vie aura été le commentaire et l’imagé de cette patrie, rude et solitaire comme les rocs de la Norvège, profonde et fertile comme ses riches vallées. »

Il y a pour les peintres Scandinaves une autre source qui leur est devenue riche et féconde : c’est le charme original de la nature du Nord. Nulle part le ciel et la terre n’offrent de plus saisissantes beautés, soit que l’été, rapide, mais chaud et brillant, verse sans l’interruption des nuits les flots d’une lumière continue, ou que les aurores boréales et la lueur magique de la neige et des glaciers tempèrent l’obscurité des hivers, soit que les hautes cimes, les grands lacs silencieux et déserts, les fiords resserrés entre les rochers à pic, les chutes majestueuses, la perpétuelle et sombre verdure des bois de sapins ou les forêts de bouleaux, dont, au premier souffle de l’automne, chaque feuille devient dorée ou empourprée comme une fleur, étalent aux regards de ravissans spectacles. Le sentiment de ces beautés est familier aux populations du Nord : nulle part les fleurs et le sol natal ne sont plus aimés. À vrai dire, peu d’étrangers encore vont à la découverte dans ces vastes et lointaines régions ; à mesure cependant que les communications se font plus rapides, Anglais et Français s’y aventurent, en reviennent charmés, et publient des récits accompagnés de dessins, qui répandront chez nous la connaissance d’une splendide nature à peine soupçonnée, et seront un commentaire des belles peintures de l’école norvégienne. — M. Gude est le chef des paysagistes de cette école, et M. Tidemand celui de ses peintres de genre.

  1. Voyez l’élégante reproduction faite d’après les cartons de M. Tidemand à l’aide de la lithographie polychrome par M. Sonderland et publiée à Dusseldorf en 1851, avec un texte norvégien-allemand pour chacun des dix épisodes.