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de mœurs sans forme originale (il n’y a pas d’originalité dans la littérature des temps barbares), mais propres à donner une idée de l’état de la société au commencement du IXe siècle. Les débuts de Théodulfe sont hardis. Simple diacre, il écrit un poème critique sur les mœurs des évêques. Le poème est remarqué, l’auteur est appelé au palais ; il devient l’un des maîtres de l’école et l’un des lettrés favoris. à la cour d’Aix-la-Chapelle, aucune muse ne pouvait rester silencieuse, moins que toute autre celle de Théodulfe. C’est comme poète que Théodulfe est maître dans l’école, c’est comme poète qu’il marche de pair avec les guerriers barbares et qu’il a gagné les faveurs du souverain : il lui faut raconter à Charlemagne sa gloire, à la cour ses joies, ses magnificences, ses passe-temps. C’est ainsi que Charlemagne aimait à être loué, lorsqu’au retour des guerres il se reposait en patriarche au milieu de sa famille et de ses amis. On plaisait aux jeunes princesses avec des complimens mythologiques, on flattait les dignitaires ecclésiastiques en leur donnant des surnoms païens, on amusait les guerriers barbares par le récit des querelles de l’école. Tous les détails sont précieux, et les moindres intéressent le plus. Vous voyez Charlemagne s’asseoir à table ; on lui sert son dîner de quatre plats et le rôti de gibier. Vous vous asseyez à cette même table que préside alors Alcuin ; vous trouvez le lait fade, vous vantez les mets pimentés. Avec la partie choisie de la société, vous vous rendez ensuite dans le lieu où le rude vainqueur des Saxons s’abandonne aux plaisirs de l’esprit avec ses théologiens, ses grammairiens et ses poètes.

Théodulfe est nommé évêque d’Orléans et abbé de Fleury. Un capitulaire adressé au clergé du diocèse d’Orléans et une épître à saint Benoît d’Aniane donnent sur son épiscopat des renseignemens précieux. Il n’y a pas là seulement un témoignage de la grossièreté et de la corruption de ceux dont Théodulfe essaie de corriger les mœurs ; il y a aussi une preuve de l’ardeur intellectuelle et de la passion littéraire qui animent les hommes cultivés du IXe siècle. On aimait alors les lettres comme on aime aujourd’hui la liberté. « L’instruction, proclame Théodulfe, est la première charité à faire au peuple. » Il met en vigueur les prescriptions de la lettre de Charlemagne de 787 : Il ordonne à tous les clercs d’ouvrir dans toutes les villes et dans tous les bourgs des écoles publiques et gratuites ; il encourage et surveille les écoles des monastères ; il répond en vers aux écoliers d’Orléans, qui lui écrivent en vers ; il s’efforce de répandre autour de lui le goût des arts et de la vie délicate. Aimer l’étude, c’était être l’ennemi des mœurs grossières et l’ennemi de l’injustice. Aux mérites qui le distinguaient déjà, le poète-évêque unit ceux de l’administrateur. Pour dire le vrai, il penche du côté de César ; les capitulaires sont sa loi plutôt que les canons : c’est un fonctionnaire, un vrai fonctionnaire public. Charlemagne ne pouvait laisser inactives des dispositions si rares, devenues moins précieuses depuis qu’elles sont devenues plus communes. Personne plus que Théodulfe n’était propre à remplir les fonctions de mis sus dominicus. On l’envoie en cette qualité dans la Gaule