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acceptera-t-il le cadeau qu’on va lui faire ? Quel accueil fera-t-il à un aïeul qu’il a tant aimé jadis ? N’importe. La tentative de restauration qu’on va faire mérite les encouragemens de tous les vrais amateurs, et il y a toujours du mérite pour un théâtre comme l’Opéra, dont le pain quotidien est assuré, à remonter ainsi à la source de sa tradition. D’autres projets plus hardis encore seraient à la veille d’être adoptés par l’administration qui préside aux destinées de notre première scène lyrique, et il ne nous en coûte pas de dire que parmi ces projets d’avenir se trouve l’acceptation d’un grand ouvrage dont M. Berlioz a fait les paroles et la musique. Si nous avions à émettre un avis dans une pareille circonstance, nous serions favorable au désir, après tout légitime, de M. Berlioz, et, tout en faisant nos réserves sur le mérite particulier d’une œuvre que nous ne connaissons pas, nous saisirions avec empressement l’occasion de juger les derniers efforts d’un homme d’esprit dont nous combattons les tendances. Aussi faisons-nous sincèrement des vœux pour que la demande de M. Berlioz soit accueillie, car, faveur pour faveur, M. Berlioz, qui est Français, vaut bien M. Liszt, dont les prétendues compositions sont la risée de l’Europe.

Mme Gueymard s’est essayée pendant un certain nombre de représentations dans le beau rôle de Valentine des Huguenots. Il ne nous a point paru que cette cantatrice eût toutes les qualités qu’exige l’héroïne d’un si beau drame. Elle y a manqué un peu de noblesse, et ce n’est pas sans des efforts trop visibles qu’elle a pu réaliser les effets de l’incomparable scène d’amour du quatrième acte. Mme Gueymard a été obligée de raccourcir les phrases en respirant trop souvent, en ralentissant les mouvemens de cette puissante mélopée. Que fait-il donc, à ce propos, ce diable à quatre de Meyerbeer ? Il nous laisse là, povera gente, le bec dans l’eau, comme on dit, et à nous débattre avec les infiniment petits. « Seigneur, Seigneur, ayez pitié de nous ! » On a repris aussi à l’Opéra l’œuvre intéressante et distinguée de M. Félicien David, Herculanum, avec Mme Tedesco dans le rôle d’Olympia, créé dans l’origine par Mme Borghi-Mamo, qui maintenant enchante l’Italie. Le 29 mai, on a donné à ce théâtre un agréable badinage, le Marché des Innocens, ballet-pantomime en un acte, que MM. Petipa et Pugni ont fait représenter pour la première fois au grand théâtre de Saint-Pétersbourg. Mme Petipa, une danseuse russe fort élégante et fort piquante, y a débuté avec succès. On l’a vivement applaudie, surtout dans le pas de la giganka, qui est ingénieusement dessiné. La musique de M. Pugni est facile, abondante et très bien rhythmée : que voulez-vous de plus ?

Au théâtre de l’Opéra-Comique, les œuvres insignifiantes ou impossibles se succèdent avec une rapidité et une constance vraiment fâcheuses. Que dire d’un personnel médiocre, d’artistes secondaires qu’on arrête au passage pour quelques représentations, et de courtiers de bourse qui se font compositeurs ? Nous devons être bien reconnaissans à M. Rothschild de ne pas cultiver la musique, car s’il lui prenait fantaisie d’écrire un opéra, qui l’empêcherait de le faire représenter sur n’importe quel théâtre de Paris ? Ce n’est pas M. le directeur de l’Opéra-Comique qui aurait le mauvais goût de ne pas apprécier le génie de M. Rothschild à sa juste valeur. Je vous le dis en vérité, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et il doit être permis au pauvre critique d’aspirer à un avenir