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rang la responsabilité de M. de Cavour tant qu’il vivait, puisqu’aussi bien l’Italie nouvelle avait été sa conception personnelle, et puisqu’il avait eu l’art et le bonheur de mettre au service de son idée l’irrésistible force matérielle de la France ; mais le grand responsable italien n’est plus, et c’est notre responsabilité à nous qui devient désormais la première. De l’issue de la révolution italienne dépend le jugement qu’aura mérité notre politique de 1859. Nous nous frapperions nous-mêmes du plus choquant des démentis, nous deviendrions la risée et le scandale du monde, nous paraîtrions n’avoir fait que recommencer en plein XIXe siècle les guerres décousues et contradictoires du règne de Louis XV, si maintenant nous laissions aller l’Italie à la dérive, et si nous refusions de reconnaître, — quoi ? — notre propre ouvrage. Nous l’espérons fermement, cette faute ne sera pas commise. Nous reconnaîtrons le royaume d’Italie, nous le reconnaîtrons bientôt ; nous le reconnaîtrons en joignant à cet acte d’amitié d’utiles conseils, nous le voulons bien, qui provoqueront des réponses rassurantes, mais non en le subordonnant à des conditions qui seraient cruelles pour l’honneur italien, et qui d’ailleurs seraient souverainement impolitiques, puisque, si elles étaient absolues, elles créeraient des engagemens contraires à la nature des choses et impossibles à tenir.

Devant la mort de M. de Cavour, tout s’est éteint dans les faits politiques de cette quinzaine. Des sujets intéressans ont été traités devant nos assemblées ; mais le public n’a prêté qu’une attention distraite à ces discussions. Il a été surtout étonné que ni dans le sénat, ni au corps législatif, il n’ait été prononcé une parole de regret et d’admiration pour l’illustre mort, un mot de sympathie pour l’Italie si cruellement frappée. Les manifestations spontanées de la chambre des lords et de la chambre des communes d’Angleterre ont présenté sur ce point un contraste singulier avec le morne silence de notre chambre des députés et de notre sénat. Parmi les digressions auxquelles la discussion du budget a donné lieu au corps législatif, n’aurait-il pas été possible de glisser quelques mots d’hommage adressés à la mémoire du plus grand des hommes d’état contemporains ? Au surplus, comme il était aisé de le prévoir, la discussion du budget, renvoyée aux derniers jours de la session, n’a point été approfondie. Il n’a été prononcé qu’un seul discours important, qui ait jeté quelques lumières sur notre situation financière : nous voulons parler du discours de l’honorable M. Gouin, qui nous a montré dans l’exercice 1860 l’existence peu rassurante d’un déficit de 375 millions.

On sait que le budget, comprenant les divers services de l’état, peut fournir à propos de chacun de ces services les thèmes des discussions les plus diverses sur les questions politiques. Un député qui appartient à cette nuance d’opinion qu’il faut bien, ne fût-ce que pour la commodité du discours, appeler le parti clérical, M. Keller, a saisi cette occasion pour apprécier la politique suivie en ces derniers temps par le gouvernement envers l’église. M. Keller, pendant la discussion de l’adresse, avait prononcé