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L’intérêt des consommateurs peut paraître lésé par cet excédant régulier d’exportation, en réalité il ne l’est point. Ce que le consommateur doit désirer surtout, c’est d’être préservé contre la disette, et, de tous les moyens de prévenir les disettes, le plus sûr est d’avoir en temps ordinaire un excédant de production qui puisse refluer à l’intérieur pour parer au déficit des mauvaises années. C’est ce qui arrive en ce moment même. Si l’exportation n’avait pas en 1859 atteint 8 millions de quintaux métriques, les prix seraient aujourd’hui plus élevés à cause de la mauvaise récolte de 1860. L’exportation, en se réduisant, a comblé une partie du déficit. L’importation des grains étrangers, étant d’ailleurs libre, peut s’élever graduellement à mesure que les prix montent, sans attendre, comme autrefois, le permission de l’échelle mobile, et la crise se trouve ainsi prévenue autant que possible à son origine.

On a cru longtemps que la différence entre une bonne et une mauvaise récolte dans un grand pays comme la France, qui renferme plusieurs climats, ne pouvait pas excéder un dixième de la production totale. On sait maintenant que la différence peut être bien plus forte. Dans les documens annexés à l’enquête du conseil d’état, la statistique officielle évalue à 63 millions d’hectolitres de froment la récolte de la France en 1853, et à 110 millions d’hectolitres la même récolte en 1857. En déduisant de part et d’autre 13 millions d’hectolitres pour les semences, on arrive à une quantité disponible pour la consommation de 50 millions d’hectolitres en 1853 et de 97 en 1857 ; la différence est presque du simple au double pour deux années bien rapprochées l’une de l’autre. Il se peut que ces chiffres ne soient pas mathématiquement exacts, il en résulte toujours que l’écart entre les deux extrêmes peut être énorme. Il est peu de cultivateurs qui n’aient eu à constater, dans leur propre pratique, des différences encore plus fortes. Cette inégalité rend plus sensible l’avantage d’une production normale supérieure aux besoins et d’un grand commerce organisé. Pour que le consommateur paie son blé moins cher en temps de disette, il faut qu’il le paie un peu plus cher en temps d’abondance. On est déjà parvenu, par la liberté du commerce des grains à l’intérieur et par l’ouverture de nombreuses voies de communications, à rendre les disettes moins fréquentes et moins meurtrières ; on arrivera, par une nouvelle extension du marché, à les atténuer encore.

Tout annonce donc que le nouveau projet de loi ne rencontrera pas dans les chambres, même indépendamment de toute pression politique, l’opposition qu’il y aurait soulevée naguère. Il y a des temps où les questions arrivent à leur maturité sous toutes les formes de gouvernement. Sir Robert Peel a bien pu faire voter en Angleterre