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moyens d’y parer. À nouveaux maux, nouveaux remèdes. Cette réponse n’est pas la seule, et il y a bien d’autres raisons de se rassurer. L’Angleterre, qui a un déficit annuel de 30 millions d’hectolitres, ne cesse de puiser à pleines mains dans les réservoirs de céréales du monde entier ; c’est elle qui fait et qui fera les prix sur les marchés d’approvisionnement, tant que la production ne dépassera pas le niveau de ses besoins, et pour que la production en vienne là, si elle y arrive, il faudra beaucoup de temps.

On nous disait autrefois que les producteurs russes pouvaient donner indéfiniment leur blé à 8 francs l’hectolitre, parce qu’ils avaient pour cultiver des serfs qui ne leur coûtaient rien ; on nous dit aujourd’hui qu’ils vont produire à meilleur marché parce qu’ils auront des ouvriers libres. On nous affirmait que les blés de l’intérieur pouvaient arriver sans frais à Odessa, parce qu’on les transportait avec des bœufs qu’on vendait en arrivant, et on dit aujourd’hui que les transports vont devenir plus économiques parce qu’on va remplacer les charrettes à bœufs par des chemins de fer. Ces deux assertions contradictoires se réfutent l’une par l’autre. Avant que le réseau des chemins de fer russes puisse transporter de grandes masses de grains, il faut au moins un siècle. Les distances sont immenses dans ce pays-là, et les populations bien clair-semées. Nos compagnies de chemins de fer prétendent que, dans une moitié de la France au moins, les recettes ne suffisent pas à payer les frais d’établissement et d’entretien des lignes ferrées-, que faut-il penser de régions désertes où tout manque à la fois ? On vante beaucoup et avec raison la fertilité des fameux pays de terre noire ; mais ces pays sont loin de la côte, et nous savons par notre propre expérience que le moindre trajet par terre a bientôt grevé le blé de frais énormes, même par les lignes de fer. Cette fertilité même dont on parle tant a ses bornes ; le blé rend en moyenne trois fois la semence dans les régions les plus favorisées, tant la culture y est défectueuse, et l’exemple de nos départemens les plus arriérés nous apprend combien les progrès de la culture soulèvent de difficultés. Quel plus grand enseignement que l’Algérie ! Là aussi, disait-on, on pouvait produire du blé à volonté, et après trente ans d’efforts et de sacrifices sans limites, on n’est pas beaucoup plus avancé que le premier jour.

En même temps qu’une connaissance plus approfondie des faits dissipait le fantôme d’une importation imaginaire, d’autres faits démontraient la certitude d’une exportation très effective. Ce n’est pas là une hypothèse, une prévision, mais une réalité.

Dans les trois ans qui viennent de s’écouler, la suspension de l’échelle mobile n’a porté que sur l’importation, tout l’appareil des