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inexplorées de son vaste empire par les savans que ses libéralités avaient attirés auprès d’elle. Tandis que par ses ordres Pallas et Guldenstaedt parcouraient la Crimée et le Caucase occidental, Gmellin s’aventurait parmi les tribus barbares du Daghestan. Devenu suspect au khan des Kara-Kaïtakh, il fut arrêté, traîné de prison en prison, et vint mourir, épuisé par les privations et les fatigues, à l’âge de trente ans, dans un obscur village du Caucase. Le général de Medem eut ordre d’aller venger cet odieux attentat et réprimer les brigandages du khan. Les Lezghis furent défaits.

Ils eurent bientôt de nouvelles luttes à soutenir, contre les Russes, qui se rapprochaient de plus en plus de leur territoire. Livrée sans défense aux incursions des montagnards et ruinée par l’invasion du roi de Perse, le féroce et sanguinaire eunuque Mohammed-khan, en 1765, la Géorgie chrétienne venait de tourner un regard de désespoir vers la Russie. C’est dans ces conjonctures que Giorgi XIII, son dernier souverain, réduit à un état désespéré, avait eu la pensée de faire hommage de sa couronne à Paul Ier, en sollicitant sa protection et son secours. Les Russes allaient se trouver face à face avec les terribles Lezghis. La première affaire qui les mit aux prises avec eux, et que l’on peut considérer comme le prélude de la guerre qui a duré jusqu’à présent, est celle dont fut l’occasion le tsarévitch de Géorgie, Alexandre, fils de Giorgi XIII. Mécontent de la cession que venait de faire son père à Paul Ier au préjudice de ses droits héréditaires, il se réfugia chez le khan du Karabagh, qui, de concert avec Omar, khan d’Avarie, excita le jeune prince à prendre les armes pour revendiquer la couronne. Deux régimens russes, appelés par Giorgi XIII, franchirent le Caucase par le défilé de Dariel, et arrivèrent à Tiflis ; les Russes et les Géorgiens marchèrent ensemble contre les Lezghis sous la conduite des généraux Gouliakof et Lazaref, et les rencontrèrent à Kara-Aghatch, à douze verstes de Signakh. Les Lezghis furent mis en déroute et laissèrent sur le champ de bataille quinze cents morts, parmi lesquels se trouvaient Omar-Khan et plusieurs autres chefs. Giorgi étant mort sur ces entrefaites, l’annexion de la Géorgie à la Russie fut consommée par un manifeste de l’empereur Alexandre en date du 12-24 septembre 1801. La nomination de Knorring comme gouverneur de ce pays inaugure la transformation du royaume géorgien en province russe, ainsi que cette série d’opérations militaires qui s’est déroulée si laborieusement pendant un demi-siècle et plus, et qui s’est terminée, il y a dix-huit mois, par la conquête entière du Daghestan et la prise de Gounib.

Les Lezghis sont ce que les ont faits et l’âpre pays qu’ils habitent, et l’état continuel de troubles intérieurs et d’hostilités de tribu à tribu dans lequel ils ont toujours vécu : un peuple aux mœurs rudes