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ma question, c’est à un Anglais ! » J’entre dans les bâtimens où siffle la vapeur, où les scies grincent dans les troncs d’arbres, et j’y remarque en effet une activité intelligente qui sent le Saxon et le protestant.

Nous traversons des rivières, Fiume-Negro, Fiume-Bianco, sur des ponts resserrés, mais extrêmement élevés. La construction en est solide, assise sur de belles pierres de taille. L’administration napolitaine n’est point coutumière d’un pareil luxe de bâtisse ; je m’étonne. « Qui a construit ces ponts ? — Ah ! je ne sais pas, me dit le postillon ; il y a longtemps qu’ils sont là, depuis l’époque des Français. » La nuit vient, avec elle la fraîcheur ; nous grelottons. La pluie recommence, et le tonnerre, qui retentit tout à coup, nous annonce un nouvel orage. Nous passons au-dessus d’un mugissement humide et rocailleux, qui est le fleuve Sele coulant violemment au fond d’une gorge. Les ténèbres sont absolues, nous ne distinguons rien. À minuit, nous arrivons à Eboli, tout en haut d’une côte à découvert. L’ouragan se déchaîne ; la pluie tombe en cataractes, le tonnerre éclate avec fureur ; le vent secoue notre voiture, et les chevaux se cabrent, épouvantés de tant de fracas. Pendant qu’on allait chercher le relais, nous entrâmes dans un café plein de garibaldiens, qui nous accueillirent par un hurrah ! tant nous avions piteuse mine avec nos vêtemens qui ruisselaient et nos cheveux collés sur les tempes ! Un jeune officier, tenant un verre et une bouteille à la main, s’approcha de moi et me dit assez spirituellement : « Vous devriez mettre un peu de vin dans votre eau ! »

Nous marchions avec précaution et lenteur en sortant d’Eboli, car la tempête avait déraciné des arbres qui jonchaient la route ; le ciel s’apaisa peu à peu cependant, et les étoiles brillaient quand nous arrivâmes à Salerne, vers trois heures du matin. Les flots, remués par l’orage, haletaient sur la grève et déroulaient leurs volutes troublées. Nous pûmes nous sécher un peu dans un café où la garde civique nous accueillit cordialement ; cela nous fit grand bien, car nous n’avions pas sur nous un fil qui ne fût trempé. Au petit point du jour, qui se leva clair et radieux, nous étions à Vietri, où nous montions dans un wagon de chemin de fer, qui partit à six heures sans même nous réveiller par son bruit, car nous dormions profondément, jetés sur les banquettes comme des paquets de vieux habits mouillés. À huit heures du matin, le dimanche 9 septembre, nous entrions à Naples quatorze jours après notre débarquement dans les Calabres.


MAXIME DU CAMP.