Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il creusait sous ses pas. Qui devait combler cet abîme, lui ou le peuple des Deux-Siciles ? Telle était la question ; il eût été facile d’y répondre avec un peu de prévoyance. De gouvernement, il n’y en avait plus, à proprement parler, dans le pays ; il n’y avait que la police. La diplomatie se troubla, car, par l’entêtement inexplicable d’un homme, elle vit les nations alarmées et la paix compromise ; elle comprit que la révolution, légitime s’il en fut jamais, reprenant les termes mêmes de la fameuse déclaration de Schœnbrunn, allait pouvoir dire : « La dynastie de Naples a cessé de régner ; son existence est incompatible avec le repos de l’Europe. » Dès que Garibaldi débarque à Marsala, la cour est prise de terreur : ce n’était qu’un homme cependant ; mais son nom est un mot de ralliement, sa présence un appui pour les mécontens, c’est-à-dire pour tous, sa renommée un sûr garant de la victoire. On en appelle aux puissances étrangères, qui restent muettes. Pensa-t-on sincèrement conjurer le mouvement national en octroyant une constitution ? Je n’ose croire à tant d’illusions. Quoi qu’il en soit, le 26 juin un acte souverain est promulgué, qui promet des concessions. Les concessions in extremis n’ont jamais sauvé personne. L’absolutisme a une pente fatale qu’il doit suivre ; il faut qu’il grandisse toujours, s’il ne veut périr. Il doit être indiscutable, il est parce qu’il est. Faire une concession, une seule, c’est avouer implicitement qu’il n’a pas le droit d’être. Or qui manque à son principe meurt : la logique est inexorable ; un roi absolu qui donne une constitution appelle forcément sa chute. D’ailleurs personne n’osait accepter cette constitution, et chacun en était venu à se dire : C’est un piège. Une constitution doit être le pacte fondamental, librement discuté et accepté, qui intervient entre le souverain et ses peuples pour déterminer leurs droits et leurs devoirs respectifs. Dans ce cas, elle est sérieuse, elle entraîne une responsabilité réciproque ; mais lorsqu’elle est octroyée par le seul fait de la volonté souveraine, ce n’est plus qu’un acte de bon plaisir : la toute-puissance qui l’accorde peut également la retirer. La nouvelle constitution napolitaine se trouvait naturellement dans le second cas, et elle ne fit que précipiter une chute prévue depuis longtemps.

La nouvelle de l’entrée de Garibaldi à Naples se répandit rapidement à Lagonegro, qui ne tarda point à s’illuminer. Le lendemain matin, l’un de nous reçut une dépêche qui lui annonçait que les forts de Naples étaient encore au pouvoir des royaux ; la dépêche ne laissait pressentir aucune crainte, mais il était facile d’en concevoir, car une bataille terrible pouvait surgir tout à coup dans les rues mêmes de la capitale. Nous ne fûmes pas longs à partir. Après Lagonegro, on dirait que le paysage lui-même se civilise et