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C’est dans les bas-fonds de la société anglaise que les apôtres mormons font leurs plus nombreuses recrues ; à la fin de l’année 1851, près de 33,000 néophytes étaient inscrits sur les registres de la présidence de Liverpool. En Scandinavie, des milliers de paysans et d’ouvriers sont entraînés par la nouvelle doctrine, dont la grossière simplicité frappe leur esprit encore inculte ; mais la sévérité des lois suédoises retient un grand nombre d’hérétiques dans le giron de l’église officielle. Souvent les réunions tenues à Malmoe, la ville sacrée des mormons du nord, ont été violemment dissoutes par la police ; souvent des foules armées de bâtons et de fusils ont envahi les maisons particulières qui servaient de temples, et, s’emparant des saints, les ont roués de coups et traînés dans la boue. En certains districts de la Suède, les membres des consistoires ont imposé une amende de 25 rixdales sur ceux qui prennent des serviteurs mormons, qui louent des chambres à des saints ou seulement leur donnent un refuge quand ils sont poursuivis. En Danemark, où la constitution de 1849 garantit la liberté des cultes, les mormons forment des communautés florissantes[1].

Un fait très remarquable, c’est que les prédications mormones n’ont de prise que sur les habitans des pays du nord ; parmi les convertis, on compte à peine quelques centaines de Français, d’Italiens et d’Espagnols. Quelles sont les raisons de cet étonnant contraste ? Elles sont nombreuses et de nature diverse. D’abord il faut dire que la plupart des apôtres se portent vers les îles britanniques, où ils peuvent haranguer dans leur langue maternelle et jouissent de la liberté de réunion la plus absolue ; puis il est certain que dans le nord les classes pauvres, qui seules fournissent des recrues aux mormons, sont foncièrement beaucoup plus ignorantes et plus avilies que dans les pays latins. Elles sont aussi plus sujettes à ces hallucinations et à ces obsessions de fantômes vaporeux qu’on remarque chez tous les convertis. De leur côté, les Latins sont plus attachés au sol, moins colonisateurs, et le voyage à accomplir vers le territoire d’Utah les effraie. La véritable raison néanmoins est que les peuples de l’Europe méridionale n’ont, pour croire à l’autorité absolue de la tradition, nullement besoin de reconnaître un pape transatlantique : l’église romaine, qui les a nourris et élevés, ne demande qu’à les retenir dans son sein et à les soustraire à tous les doutes de l’âme

  1. Au 1er janvier 1857, on comptait 2,692 disciples de Joseph Smith dans la Scandinavie, dont 340 en Suède, 198 en Norvège et 2,147 en Danemark. La seule ville de Copenhague avait une communauté de 1,208 mormons, environ le centième de sa population totale. En Islande, les apôtres n’avaient fait que 7 prosélytes. Ces chiffres du reste ne donnent qu’une faible idée de l’importance des résultats obtenus par les apôtres mormons : aussitôt après leur conversion, la plupart des saints quittent leur patrie et s’embarquent pour la Nouvelle-Jérusalem.