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Timpanogos, dans le lac d’Utah, et Cedar-City, bâtie sur l’emplacement d’une ville considérable des Aztèques, ainsi que le prouvent les amas de tessons coloriés trouvés çà et là dans le sol. Grantsville, Nephi, Manti, Payson, Parowan, ne sont guère que des villages ; leurs maisons, composées simplement d’un rez-de-chaussée et d’une cave, sont en général de pauvre apparence : à peine achevées, elles semblent déjà tomber en ruine. La méthode de construction est des plus primitives. Lorsqu’on a trouvé un emplacement favorable, on creuse le sol à 3 ou 4 mètres de profondeur, on découpe en briques l’argile retirée de l’excavation, et on l’entasse sur le bord de la fosse ; quand ces briques ou adobes ont suffisamment durci au soleil, on n’a plus qu’à les superposer pour bâtir les murailles.

Toutes les villes d’Utah sont peuplées de mormons appartenant aux nationalités les plus diverses : Américains, Anglais, Scandinaves, Allemands, Français, nègres ; on y voit jusqu’à des Hindous, des Kanaks et des Chinois. « Tous ces gens, dit M. Remy, nés dans des croyances différentes et souvent opposées, élevés pour la plupart dans l’ignorance la plus crasse et des préjugés divers, différant par le langage, les mœurs, les lois, la nationalité, les goûts, se sont rassemblés, se rassemblent tous les jours pour vivre mieux que des frères, dans une harmonie parfaite, au milieu du continent américain, où ils forment une nation nouvelle, indépendante, compacte. Il y a là de quoi faire croire à la possibilité d’une fusion universelle, à l’unité future des peuples dans une seule et même république ! » C’est peut-être à cause de cette diversité d’origine, de mœurs, d’éducation, que les mormons sont si faciles à gouverner et à réunir en un même corps de nation. Perdus dans le désert, ils ne peuvent se rattacher les uns aux autres que par un fanatisme commun. Aucun groupe de saints n’est assez fort pour revendiquer la suprématie sur les autres ; venus des points du monde les plus opposés, ils sont tous étonnés, surpris, désarmés à la vue de cette société puissante qui les reçoit dans son sein. Leur orgueil ne souffre point d’obéir lorsqu’ils voient tous leurs coreligionnaires se soumettre également, et ils font sans regret le sacrifice de leur indépendance.

Il faut ajouter que Brigham Young, le pape des mormons, a su faire preuve d’un talent remarquable ou plutôt d’un vrai génie dans la conciliation de tous les élémens divers qui composent son peuple. Ses traits dénotent la ruse la plus sûre d’elle-même unie à une grande bonté d’âme et à une force indomptable de caractère. « Il poursuit son but avec une ténacité que rien n’ébranle, avec cette opiniâtreté, cette âpreté d’ambition qui fait les grands politiques. Calme, froid, réfléchi dans le conseil, il ne se décide que lentement, et, la résolution prise, il ne s’empresse même pas d’agir ; mais l’action commencée, il la continue avec une vigueur qui ne s’arrête