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volonté expresse des dieux, et criminel serait celui qui accuserait l’ignorance du dignitaire mormon !

S’ils redoutent l’activité intellectuelle, les saints des derniers jours, singulièrement épris de la force brutale, du courage physique, de tout ce qui se traduit par des faits matériels et visibles, s’adonnent au travail des mains et à l’industrie avec une fougue tout américaine. Ils possèdent des papeteries, des imprimeries, des scieries mécaniques, des moulins pour la fabrication du sucre de betterave et de canne, des fonderies de fer, de bronze, de plomb, des fabriques de draps, de tapis, des manufactures d’armes et de poudre, des ateliers de gravure, de dessin, de broderie ; pendant l’été, un petit bateau à vapeur fait un service régulier sur le Lac-Salé ; des voitures sillonnent toutes les grandes routes. Les mécaniciens mormons sont même capables de diriger la construction des machines à vapeur, et l’on a vu, à l’une de leurs dernières expositions, une locomotive complète fonctionnant à merveille. Ils fabriquent des monnaies d’or de même valeur que les monnaies américaines, et reconnaissables à un emblème symbolique représentant l’œil de Jéhovah surmonté d’un bonnet phrygien. Ils tracent dans les vallées étroites des routes qui feraient honneur à nos ingénieurs d’Europe ; ils jettent des ponts sur les rivières, construisent des chemins de fer industriels pour le service des mines de fer et de charbon. Ils négligent seulement les mines d’or et d’argent : Brigham Young, redoutant à bon droit la démoralisation et l’indiscipline qu’entraîne toujours à sa suite la recherche des métaux précieux, a formellement, interdit à tous ses fidèles de se livrer à cette occupation.

Le développement rapide qu’a pris Great-Salt-Lake-City, la ville sainte des mormons, passerait pour merveilleux partout ailleurs qu’en Amérique. Cette ville, qui s’élève en amphithéâtre sur la pente d’une colline, non loin de la rive droite du Jourdain, et à deux ou trois lieues de l’embouchure de ce fleuve dans le Grand-Lac-Salé, offrait à peine quelques maisons en 1850 ; la plupart des habitations n’étaient autre chose que des wagons de voyage alignés le long des sentiers. Aujourd’hui Great-Salt-Lake-City, peuplée de 16,000 habitans, est une des villes les plus belles des États-Unis. Toutes les rues, larges de 40 mètres, sont arrosées de chaque côté par des ruisseaux d’eau limpide dont les bords sont plantés d’une double rangée de saules arborescens. Les maisons, toujours propres et souvent élégantes, sont séparées de la rue par des arbres, des massifs d’arbustes et des plates-bandes de fleurs. De grandes places, pleines de fraîcheur et d’ombre, interrompent de distance en distance la monotonie des longues rues tirées au cordeau. Après la traversée de l’affreux désert de sable et de sel, c’est une joie