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donnée la forte démocratie américaine, les disciples de Joseph Smith ont pendant un temps égalé, surpassé même l’énergie colonisatrice de leurs compatriotes ; pour faire fleurir des oasis au milieu du désert, ils ont déployé au plus haut degré leur initiative personnelle. Travailleurs infatigables, ils ont mis leur gloire à tout faire par eux-mêmes et n’ont rien demandé au pouvoir qui les dirige ; mais ces hommes si énergiques, si complets comme simples pionniers, si démocrates pour toutes les choses qui ont rapport à la vie matérielle, ont abdiqué sans retour la liberté morale : ils n’ont gardé que leurs bras et ils ont livré leurs âmes. Pendant qu’ils labourent le sol et bâtissent des villes, ils laissent leurs chefs veiller sur eux et s’occuper de tous les intérêts sociaux et politiques. On peut se demander si cette abdication de leur être intime n’aura pas pour dernier résultat d’ôter aux mormons toute initiative, même celle du travail matériel. Tout finit par s’éteindre chez l’homme qui a livré son âme. Déjà le sens moral des mormons est bien émoussé : aussi, malgré le manifeste publié par Joseph Smith lorsqu’il était candidat à la présidence des États-Unis, malgré les doctrines abolitionistes de la secte mormone à ses trois premières étapes de Kirtland, de Jackson-county et de Nauvoo, l’esclavage est-il aujourd’hui formellement reconnu dans la Nouvelle-Jérusalem : rien de plus logique dans un pays où l’obéissance absolue est de rigueur pour tous les fidèles.

Les sujets que traitent les orateurs mormons dans les assemblées solennelles sont en général de nature à étonner les gentils. Au lieu de parler des gloires du ciel, du salut des âmes, ou simplement de questions morales, les prêtres s’occupent longuement des intérêts matériels de la communauté ; ils récapitulent le nombre des émigrans arrivés pendant l’année et distribués sur tous les points du territoire ; ils traitent du rendement des mines, de l’exploitation des forêts, des perfectionnemens introduits par les ouvriers dans la fabrication des outils. Cette préoccupation de la prospérité matérielle est facile à comprendre. La vie future n’étant pour les mormons que la continuation pure et simple de la vie terrestre, ils n’ont aucune raison d’arrêter longuement leur attention sur les choses d’en haut ; la Nouvelle-Jérusalem qu’ils ont fondée est une maison de commerce dont la raison sociale et la constitution ne changeront point pendant le millenium. Il est donc tout naturel que les mormons, gens essentiellement pratiques, se préoccupent avant tout de l’état présent et matériel de leur société. Sous prétexte de religion, le mormonisme n’est autre chose qu’une fin de non-recevoir de tous les problèmes religieux.

Les formes du culte sont combinées en vue du même résultat, l’exclusion de la pensée. Dans toutes les cérémonies, on multiplie