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C’est une erreur. Les mormons refusent à bon droit toute assimilation avec les gentils de leur patrie. Ils ont leur révélation propre, leurs prophètes, leurs dogmes : ils représentent la nouvelle alliance, et succèdent au christianisme abâtardi, de même que celui-ci succéda à la religion juive. Joseph Smith s’est assis à son tour sur le trône qu’occupèrent Moïse et Jésus-Christ. Il accepte comme un héritage sacré les livres de l’alliance juive aussi bien que le Nouveau-Testament ; mais il les explique par une révélation supérieure, et il donne au monde la vraie Bible, le livre de Mormon.

Au premier abord, l’ensemble de la révélation mormone n’offre guère qu’un étrange éclectisme de mythes hindous, d’aperçus néoplatoniciens et gnostiques, de sensualité mahométane et de préceptes chrétiens. Comme Zoroastre, les saints reconnaissent les génies du bien et du mal ; comme Pythagore, ils croient à la métempsycose ; depuis longtemps ils ont adopté les rêveries américaines sur la parenté des esprits et sur les sympathies des âmes sœurs reliées l’une à l’autre des deux côtés du tombeau. Aux baptistes ils ont pris le baptême par immersion, aux sectes apocalyptiques leur croyance au millenium, à tous les illuminés leurs visions, leurs prophéties, leurs miracles. Chaque religion, chaque secte a fourni à l’immense syncrétisme de la doctrine mormone sa quote-part de vérités ou d’erreurs. Avant tout, les saints des derniers jours se réclament de leurs prétendus ancêtres spirituels, les Néphites. Les mormons sont Juifs par les traditions qu’ils se sont données, Juifs par leur croyance aux Élohim et aux mauvais anges, par l’idée qu’ils se font d’un Dieu matériel, par leurs théories sur la famille, Juifs par leur haine contre les Égyptiens, Juifs par leur avidité pour les richesses de ce bas monde : ils croient, eux aussi, que tout l’or entassé dans les coffres-forts doit leur appartenir un jour, que l’humanité entière travaille, immense troupeau d’esclaves, à cultiver et à décorer la terre où s’élèveront pendant le règne de mille ans leurs palais de diamans et de rubis.

Malgré ces emprunts faits à tant de religions diverses, la doctrine des mormons forme un tout parfaitement homogène. Comme des rivières descendues de montagnes opposées réunissent leurs eaux dans un lac impur, les dogmes les plus différens viennent se fondre en ce matérialisme grossier. D’après la religion des saints, tout est matière, force brutale, fait accompli. Dieu le père n’est pour les mormons que le plus puissant des hommes : autrefois même il n’avait rien de supérieur à nous ; mais il a su gravir tous les degrés de la hiérarchie céleste, et maintenant il est assis sur un des trônes élevés du paradis. Il a des yeux, une bouche et des oreilles ; il a été engendré comme nous, il est marié à tout un peuple de femmes, ses