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pour soigner les malades. Enfin, le 24 juillet 1847, les cent quarante-trois pionniers de l’avant-garde aperçoivent du haut d’une colline la grande nappe du Lac-Salé, ils se jettent à genoux pour remercier Dieu, et le soir même ils se mettent à l’ouvrage, retournant le sol, traçant des rues et des canaux d’irrigation.

Arrivés au but de leur voyage, les mormons n’avaient point encore atteint le terme de leurs souffrances. La famine, occasionnée par les sauterelles qui ravageaient les champs, sévit encore pendant deux années sur les fidèles, et jusqu’au milieu de l’année 1849 il fallut se rationner à douze onces de blé par personne et par jour. Depuis cette époque, la prospérité des mormons n’a été interrompue que pendant la guerre. Ces hardis colons aiment à répéter le proverbe suivant : « Je ne puis n’a jamais rien fait ; j’essaierai a fait merveille ; je le ferai a accompli des miracles. » En effet, l’histoire des mormons semble vraiment miraculeuse.


II. — la doctrine des mormons.

Le mormonisme ne pouvait se produire et triompher qu’aux États-Unis. Cette république est un grand laboratoire où toutes les théories religieuses, sociales, politiques, se mettent à l’essai. On y expérimente à la fois l’extrême liberté et le plus terrible esclavage, la macération du corps et la réhabilitation de la chair, le célibat et la polygamie, le communisme et la concurrence effrénée. C’est une grande école où toutes les théories de l’ancien monde, basées sur le principe de l’autorité ou bien sur celui de la liberté, sont mises à l’épreuve des faits pour servir d’enseignement à l’univers. Les spéculations humaines, à peine sorties du cerveau qui leur a donné naissance, vont aussitôt prendre corps dans ce continent vierge, qui donne l’hospitalité à toutes les idées comme à tous les émigrans. Au milieu de cette société américaine, où les sectes se fractionnent jusqu’à se réduire en poussière, où la religion de la conscience individuelle supplante graduellement toutes les religions collectives et officielles, où chacun adopte librement sa foi et en change à sa guise, il se fonde par réaction une religion nouvelle qui se met en antagonisme violent avec le génie même de l’Amérique. Au fractionnement des sectes elle oppose la forte organisation de son immuable théocratie, elle rejette la liberté républicaine et préconise la concentration absolue de toutes les forces et de toutes les volontés dans la tête d’un pape ; elle procède à l’asservissement du peuple par l’asservissement de la femme. Par un contraste remarquable, tandis que le catholicisme, religion d’autorité absolue, perd graduellement de son importance relative dans les républiques anglo-