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son de faits et d’aperçus nouveaux sur l’état social des mormons, leur doctrine, leurs progrès matériels, le territoire qu’ils habitent. De ces livres, le plus important est sans contredit celui d’un savant naturaliste, M. Jules Remy. Fidèle à la vraie méthode scientifique, ce voyageur a commencé par observer sans préjugés et sans parti-pris ; afin de porter plus sûrement un jugement définitif, il a voulu d’abord voir et bien voir. Le livre qu’il publie aujourd’hui est le résumé de ses excellentes observations, et chacun de nous, grâce à cet exposé si complet et si impartial, peut librement tirer ses conclusions et juger en connaissance de cause.


I. — le pays des mormons.

Par une coïncidence remarquable, le pays que les mormons ont choisi pour siège de leur empire offre avec leur régime théocratique une singulière ressemblance : on dirait qu’il a été formé spécialement pour eux. C’est un fait reconnu par les géographes que d’ordinaire les nations reproduisent dans leur essence morale les traits physiques des contrées où elles se développent ; mais ici c’est un peuple nouveau qui, poussé, semble-t-il, par le besoin de se mettre en harmonie avec la nature environnante, va chercher au milieu des montagnes une terre qui convienne à son génie. Ne faut-il voir dans ce choix des mormons qu’un simple effet du hasard ? Eux qui se disent les Israélites du Nouveau-Monde, et dont la doctrine a tant de points de ressemblance avec celle des Juifs, ils ont choisi pour patrie une région analogue à la Palestine. Au milieu de leur territoire s’étend une mer morte où se jette un fleuve d’eau douce semblable au Jourdain, et sortant comme lui d’un lac charmant, autre mer de Génézareth. Les deux pays offrent les mêmes vallons fertiles environnés d’âpres rochers ; ils sont également limités par un vaste désert. Pour atteindre leur terre promise, les mormons ont dû faire péniblement leur exode à travers les solitudes, comme les Israélites à travers les sables et les rochers de la péninsule de Sinaï. Nouveau Moïse, Joseph Smith n’a pu mener ses frères dans le Chanaan d’Amérique : c’est à un second Josué, à Brigham Young, « le lion du Seigneur, » que la gloire de traverser le Jourdain a été réservée.

Le territoire d’Utah, que l’on appelait autrefois assez improprement le Grand-Bassin, et que les mormons avaient d’abord désigné sous le nom de Deseret ou pays de l’Abeille, est un plateau compris entre les Montagnes-Rocheuses et la Sierra-Nevada de Californie. L’altitude moyenne de ce plateau est au nord de 1,200 à 1,400 mètres, mais il est incliné en pente douce vers le sud, où il se confond insensiblement avec les plaines désertes du Colorado. Sa surface est