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À l’heure même où le dernier des cinq membres quittait ainsi la salle, le roi Charles et ses reformados[1] touchaient aux portes de Westminster. Ils étaient là, gardes, hallebardiers et le reste, environ six cents hommes, armés jusqu’aux dents, la plupart ayant des pistolets à la ceinture, et beaucoup la main sur leur épée, en attitude fort menaçante. La terreur régnait sur leur passage, les bons bourgeois se souvenant des coups de plat d’épée, voire de tranchant, que ces mêmes bravaches avaient si libéralement distribués dans les tumultes de la Noël. Aussi fermait-on les boutiques de tous côtés. Arrivés à la porte de Westminster, ces hommes, s’écartant de droite et de gauche, formèrent une espèce d’allée par laquelle le roi passa pour arriver à l’entrée de l’angle sud-est et monter l’escalier des communes. Se précipitant derrière lui, la troupe lui marchait sur les talons ; l’ordre était pourtant donné qu’ils attendraient dans la grande salle (hall). Beaucoup y restèrent en effet, mais un certain nombre des plus ardens (principalement ceux de l’armée du nord) pénétrèrent dans le vestibule (lobby), petite pièce qui précède immédiatement la salle des séances, et avec quelques-uns des pensionnaires, le tout formant environ quatre-vingts hommes, ils auraient peut-être forcé l’entrée de la chambre sans un commandement du roi, donné à voix haute, et que nous entendîmes distinctement : Sur votre tête, que pas un ne passe outre !… L’huis, violemment heurté, céda juste à ce moment, et le roi parut, suivi seulement de son neveu, le prince-électeur du Palatinat[2] ; mais la porte, fortement retenue, ne se referma point, et par-delà le seuil, on voyait ces gens armés, dont les regards étincelaient, et qui paraissaient avoir bonne envie d’en finir avec les « bavards » du parlement. Je reconnus le comte de Roxborough, adossé au battant de la porte pour l’empêcher de retomber, et le capitaine Hide, lequel s’était signalé par ses prouesses pendant les tumultes de la Noël. Il était sur le seuil, et tenait à deux mains son épée dans le fourreau.

À l’entrée du roi, tous les membres s’étaient levés, tête nue. Le roi aussi avait retiré son chapeau, et tout en s’avançant vers le fauteuil du président, il saluait à droite et à gauche avec grande courtoisie. Il regardait cependant du côté où M. Pym se tenait assis d’ordinaire, et paraissait chercher, parmi toutes ces figures graves et muettes, à démêler les traits abhorrés de ce redoutable adversaire. Le speaker attendait, debout devant son fauteuil ; mais il fit un ou deux pas pour venir au-devant de sa majesté, qui s’approchait, et celle-ci, parlant la première : « Monsieur le speaker, lui

  1. Un reformado était l’officier d’une compagnie licenciée, mais que l’on gardait néanmoins sur les cadres du régiment auquel cette compagnie avait appartenu jusqu’à l’occasion de le remettre en activité. C’était l’officier à demi-solde de notre temps.
  2. Charles, frère aîné du fameux prince Rupert ou Ruprecht.