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Nous eûmes vent, dès le 22 décembre au soir, jour de deuil et de jeûne officiels ordonnés pour l’apaisement des troubles d’Irlande, que le roi venait de nommer à la place du sieur William Balfour un officier d’aventure, le colonel Thomas Lunsford, homme de sac et de corde, ruiné, perdu de dettes, quoique issu d’une ancienne et honnête famille. Il venait de l’armée du nord, où il avait été fort compromis dans cette conjuration militaire que je vous ai rappelée plus haut. Un pareil choix en disait long, et avait de quoi faire réfléchir les citoyens de Londres, qui appellent eux-mêmes « la bride » cette forteresse, au moyen de laquelle on les tient en respect. Il n’est donc pas étonnant qu’il causât des ombrages au parlement, dont quelques membres se pouvaient dire intérieurement qu’ils seraient bientôt sous la garde d’un si infâme geôlier. Aussi, dès le 24 décembre, y eut-il une protestation des communes, une adresse votée à l’unanimité pour le renvoi du nouveau lieutenant, et une invitation au connétable de la Tour, le comte de Newport, qu’il eût à se loger provisoirement en cette forteresse et à prendre le commandement de la garnison ; mais quand les deux membres envoyés pour notifier à ce gentilhomme le vœu de la chambre furent arrivés auprès de lui, il leur apprit, à leur grand étonnement, que, pour certaines paroles déloyales qu’il était accusé d’avoir tenues pendant le séjour du roi en Écosse, la charge de connétable venait de lui être ôtée[1]. Vainement avait-il nié à plusieurs reprises le propos à lui imputé : sa majesté n’en avait pas moins maintenu la destitution prononcée, et lui avait ensuite tourné le dos avec mépris.

Toutefois, sur les représentations du lord-maire Gournay, qui, mieux que tout autre, pouvait juger l’effet de ces mesures sur l’esprit des citoyens de Londres, le roi avait cru nécessaire de révoquer le colonel Lunsford, en la place duquel fut mis sir John Biron, et cela dès le 25 décembre. De même, le 29, le roi allait déclarer aux communes qu’il n’avait jamais cru à l’accusation portée contre le comte de Newport et n’y voulait donner aucune suite ; mais pour l’un comme pour l’autre de ces démentis qu’il se donnait ainsi à lui-même, il était déjà trop tard. Dans les foules répandues par la ville à l’occasion des fêtes de Noël, mille rumeurs menaçantes avaient circulé, et bien des gens de partis contraires s’étaient insultés les uns les autres. Là, pour la première fois, j’ai ouï les partisans du roi appeler « têtes-rondes » (à cause de leurs cheveux ras) ceux

  1. Lord Newport, dans une conférence privée à laquelle assistèrent bon nombre de membres des deux chambres, à propos des conspirations qu’on disait tramées dans les rangs de l’armée du nord, se serait exprimé en ces termes : « Après tout, si le complot existe, nous avons ici sa femme et 'ses enfans, » voulant dire par là, insinuaient ses accusateurs, que la reine et les princes pourraient au besoin être saisis comme otages dans le cas où le roi entrerait en lutte ouverte avec le parlement.