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croirais manquer à mon devoir si je ne vous en envoyais le récit sincère. Il n’est point mal à propos, approchant, comme vous le faites chaque jour, certains personnages éminens[1], que vous puissiez au besoin les entretenir, en toute connaissance de cause, des services qu’on leur rend et que ne leur rappelle pas toujours une mémoire quelquefois ingrate.

Je ne vous ennuierai point du récit des événemens qui ont marqué les vingt derniers mois. Vous savez peut-être aussi bien que moi comment le roi d’Angleterre donna brusquement congé (15 mai 1640) à son parlement, qui semblait disposé à lui refuser l’argent nécessaire pour reprendre la guerre contre les mécontens d’Ecosse. Ceux-ci, jusque-là incertains, en reçurent un grand encouragement, se croyant bien plus forts si le peuple anglais était avec eux. De leur côté, les ennemis du roi et des ministres ne négligèrent point cette occasion de faire tumulte, et furent assez faiblement réprimés. Suivit la seconde guerre écossaise, où lord Conway, à la tête des troupes royales, se laissa repousser par le général Leslie jusqu’aux frontières du comté d’York, après quoi nos covenanters écossais, tout vainqueurs qu’ils fussent, au lieu de pousser leur pointe, adressèrent au roi une de ces humbles suppliques auxquelles il n’est pas toujours sûr de faire un mauvais accueil. Le roi d’Angleterre, volontiers dissimulant, les ajourna, pour gagner du temps, devant les lords du pays, convoqués à York en grand conseil. Il comptait, par cette mesure inusitée, éviter la réunion d’un nouveau parlement ; mais, à grand renfort de pétitions suscitées par M. Pym et ses amis, qui déployèrent en cette occasion une activité surprenante, on obtint qu’il céderait sur ce point comme il avait été contraint de céder sur bien d’autres, et dès la première séance du grand conseil il fut annoncé aux membres qui le composaient qu’un parlement serait réuni dans un court délai. En attendant, on traitait avec les Écossais, qui, moyennant qu’on les payât bien (et ce à raison de quelque chose comme 15,000 pistoles par semaine), consentaient à rester en paix dans leurs quartiers, vivant d’ailleurs à merci sur les riches comtés de Northumberland et de Durham.

Si vous voulez bien ne pas oublier que nos agens d’Edimbourg n’étaient point étrangers à cette prise d’armes des presbytériens d’Ecosse, qui en définitive a mis le monarque anglais dans la nécessité de recourir une fois encore à ses turbulentes communes, peut-être trouverez-vous et trouvera-t-on avec vous que certaines gens ici n’ont pas mal employé leur temps et l’argent de sa majesté

  1. Ce mot, souligné dans le manuscrit, porte à supposer ici une allusion à son éminence le cardinal-ministre.