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sujet principal d’un tableau ? Le paysage en un mot était-il un genre inconnu ? Non, puisque les Breughel et les Paul Bril faisaient, nous l’avons vu, des paysages à Anvers depuis quinze ou vingt ans, puisqu’à ce moment même les Carrache et le Dominiquin en faisaient à Bologne, puisqu’à Venise, près d’un siècle plus tôt, Giorgione, Titien, Tintoret en avaient fait aussi. Mais quelle différence ! Le paysage italien est la traduction libre et non l’exacte reproduction de la nature. À Bologne, aussi bien qu’à Venise, les maîtres qui s’étaient permis ce genre de délassement n’avaient cherché que l’occasion de composer des sites, de combiner des lignes, de faire du style, en un mot, non plus avec des hommes, mais avec des rochers et des arbres. Et quant à nos Flamands, bien que moins occupés de l’effet idéal et plus enclins à la patiente imitation, n’était-ce pas alors de vérités conventionnelles qu’ils tapissaient aussi et leurs fonds de montagnes et même leurs premiers plans ? Le paysage ainsi compris n’est pas une invention moderne, il ne remonte pas au XVIe siècle seulement ; l’antiquité le connaissait, et sur les murs de Pompéi combien d’exemples n’en citerait-on pas ? Dans les petits médaillons, dans les gracieux cartouches suspendus entre les colonnettes dont ces murs sont souvent décorés, ne voit-on pas les rives de la mer, des jardins en terrasse, des charmilles et des bocages ? Qu’est-ce autre chose qu’un avant-goût du paysage italien, peinture décorative, moitié mensonge et moitié vérité, réminiscences de la nature entremêlées de fantaisie ? Tel n’était pas le but qu’allaient poursuivre nos Hollandais. Ils trouvaient leur pays trop beau, ils l’aimaient trop pour essayer d’en embellir l’image. Changer quoi que ce fût à ce plat horizon qui les cernait de toutes parts, à ces longs canaux rectilignes qui coupaient la campagne en tout sens, à tout ce grand radeau flottant, couvert de verdure symétrique, sur lequel ils passaient leur vie, qui d’entre eux s’en serait avisé ? L’ardeur de leur patriotisme les détournait de l’idéal comme d’une irrévérence et d’une profanation. Chacun à sa manière, et avec une variété d’accent qui n’est pas leur moindre mérite, ils allaient imiter la nature telle qu’elle s’offrait à eux, sans fard, sans choix, presque au hasard, et par nature il faut entendre ici non-seulement la terre et la mer, les plantes et les animaux, mais l’espèce humaine elle-même, ou, pour mieux dire, tout le peuple hollandais. Marines, paysages, scènes de mœurs, intérieurs de familles, figures de tout rang, de toute condition, pauvre artisan, opulent bourgmestre, cabanes et châteaux, élégans parloirs, tabagies enfumées, dégoûtans cabarets, tout pour la naissante école devenait matière à peinture ; tout modèle lui semblait bon, pourvu qu’il posât bien, qu’il fût pris sur le fait, traduit avec esprit, rendu avec exactitude.