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l’architecture, d’en accuser les contours et jusqu’aux moindres arêtes, ne la dirait-on pas littéralement empruntée à van Eyck et à ses premiers successeurs ?

On le voit donc, même avant qu’en Hollande la moindre innovation se fût encore fait jour, avant que la peinture eût essayé de triompher des préoccupations de la nouvelle république et des querelles théologiques qui la mettaient en feu, elle s’émancipait en Flandre, et particulièrement à Anvers. Tout ce midi des Pays-Bas semblait se consoler du joug qu’il n’avait pu rompre, en chassant du moins de ses tableaux les influences étrangères et en reprenant possession de son vieux goût national. De 1600 à 1630, ce mouvement est manifeste, et se produit sous deux formes tout à fait distinctes : d’une part, la fougue de Rubens, aussitôt imitée, à des degrés divers, par Gaspard de Crayer, par Jordaens, puis bientôt par Van-Dyck, tous trois nés à Anvers, et de quelques années seulement plus jeunes que leur chef ; d’autre part, la modération naïve, exacte, presque archaïque, de tout ce groupe de peintres dont Paul Bril, Jean Breughel et Peter Neefs sont pour nous les représentans.

Mais ce réveil, de l’art flamand n’avait aucun des caractères d’une révolution radicale ; ce n’était qu’un timide prélude de ce qui allait s’accomplir en Hollande. Au fond, rien à Anvers n’était changé, sauf la routine italienne : mœurs, religion, gouvernement, tout restait à sa place. Les peintres n’avaient besoin de modifier ni les dimensions de leurs toiles ni les sujets de leurs tableaux. Il n’en était pas de même en Hollande. Là, pour inaugurer une peinture nationale, ce n’était pas assez d’un retour au passé, il fallait faire du neuf. Le pays avait du même coup changé de religion et de foi politique : il n’était plus catholique et s’était fait républicain. De là pour la peinture tout un monde nouveau. Sans le catholicisme, plus de tableaux d’église, plus de chapelles à décorer, plus de saints, plus de martyrs, plus de madones, plus d’agneau ; avec la république, plus de cour, plus de luxe, plus de palais princiers, plus de lambris assez vastes pour recevoir de grands tableaux. Les mœurs économes et simples, les habitudes sédentaires de ces populations amies de leur foyer, républicaines sans vie publique, l’exiguïté et l’uniformité de leurs habitations, n’allaient plus tolérer qu’un seul genre de peinture, la peinture de chevalet. Rien que de petits tableaux et point de tableaux d’église, tel était le régime des futurs peintres hollandais. Pour eux, la source était tarie où, dans tous les pays, la peinture depuis deux siècles puisait à pleines mains, source éternelle, toujours féconde, le Nouveau et l’Ancien Testament. À défaut des sujets sacrés, pouvaient-ils s’emparer des fictions de la fable, des caprices de l’allégorie ? L’austérité protestante s’en accommodait