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jusqu’à ce qu’elle ait disparu dans les hauteurs de la montagne. C’est dans cette scène et dans l’hymne du soir que chante Wolfram bientôt après :

O douce étoile, feu du soir,
Toi que j’aimai toujours revoir !


que M. Wagner me semble avoir le mieux réussi à réaliser cette mélodie flottante qui se dégage lentement, vous enveloppe comme d’un nuage de poésie et vous communique une émotion calme, mais élevée et noble. Toutes les fois qu’une œuvre d’art produit cette émotion désirée qui dilate notre âme et élève notre esprit à la hauteur d’une situation poétique, il faut en savoir gré à l’artiste et ne pas trop le chicaner sur les moyens qu’il a employés pour obtenir un si bon résultat. Le troisième acte ne contient plus qu’une longue déclamation de Tannhäuser racontant à Wolfram son voyage à Rome, et où l’on peut remarquer quelques élans, quelques accens heureux au milieu d’une mélopée informe, terne et assourdissante, qui vous accable d’un ennui mortel.

Telle est cette œuvre étrange, que nous avons eu le courage d’entendre quatre fois avec une abnégation qui doit nous mériter quelque indulgence. Nous nous sommes appliqué, et cela nous arrive souvent, à plaider la cause de M. Wagner, à ne pas nous éloigner de son point de vue et à juger le résultat de ses efforts d’après ses propres doctrines. Nous nous sommes dit intérieurement : Ce n’est pas assez pour un critique de comprendre et d’aimer les belles choses, il faut encore savoir affronter la laideur avec calme et résolution. Où est le mérite d’admirer Mozart, le plus divin et le plus exquis des musiciens, d’admirer avec mesure Haydn, Beethoven, Weber, Mendelssohn, Schubert et le grand Sébastien Bach, ce dernier des scolastiques ; de connaître le prix des chefs-d’œuvre de Gluck, de Haendel, de Palestrina, de Jomelli, de Cimarosa, de Rossini, de Meyerbeer, de Spontini, Méhul, Hérold et de M. Auber ? Ce sont là de vrais musiciens, des artistes créateurs, aussi différens que le temps et le pays où ils se sont produits et qui ont su être originaux en respectant les lois éternelles de l’art, novateurs sans rompre la chaîne de la tradition. Tout le monde apprécie les œuvres de ces hommes admirables, qui ont pu être contestés un moment sans avoir été jamais entièrement méconnus. Ce n’est point se distinguer de la masse des esprits cultivés que de dire tout bonnement que Corneille et Racine sont de grands poètes et qu’Athalie est le plus parfait chef-d’œuvre qui existe dans aucune langue. — Prouve le contraire, élève-toi au-dessus de ces lieux-communs ! me suis-je écrié dans un élan tout lyrique, dis avec M. Wagner que la musique de Mozart n’est bonne qu’à faciliter la digestion des convives d’un banquet royal, traite Rossini de petit garçon qui n’a pas fait, comme M. Wagner, des études de contre-point, parle avec hauteur et pitié des maîtres français, de l’école italienne et de sa petite mélodie ; plonge-toi, au soleil couchant, dans la grande mélodie de la forêt inventée par M. Wagner, donne la main à MM. Listz, Brendel, Hans de Bulow, et affirme que le plain-chant que débite la pauvre Elisabeth au troisième acte du Tannhäuser est aussi beau que le trio de Guillaume Tell ! Enfin sois digne des circonstances, confonds ton