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Du ravin sortait dame Holda.


Ce chant vague, monotone, qui vise à l’archaïsme d’une vieille chanson de ménestrel, a excité un sourire gaulois qui s’est changé en hilarité générale au refrain du chalumeau. L’arrivée de Tannhäuser, sa rencontre avec le landgrave et ses camarades Walther, Bitteroff et Wolfram, poètes-chanteurs comme lui, toute cette scène de reconnaissance où le héros de la légende mystique raconte son séjour au Venusberg, ses égaremens et ses remords, ne donne lieu à aucun morceau qu’on puisse classer ni définir. Ce sont des récits interminables, une mélopée à une, deux, trois et quatre voix, que ne fixe aucun dessin saisissable, une mêlée de sons, de voix et d’instrumens qui n’éveille pas dans l’auditoire cette impression générale, vague, confuse, mais profonde, dont nous parle le théoricien, et qu’ont voulu produire le poète et le musicien réunis en la personne de M. Wagner. Soit que M. Wagner se trompe comme critique, soit qu’il ne puisse réaliser comme poète et comme compositeur l’idéal de la grande mélodie de la forêt qu’il conçoit pour l’avenir, il est certain que le premier acte du Tannhäuser n’a excité dans le public de l’Opéra que les éclats d’un rire rabelaisien.

Le second acte se passe tout entier dans la grande salle de la Wartbourg, où les poètes-chanteurs tiennent leurs assises. Élisabeth, nièce du landgrave, qui aime secrètement le chevalier Tannhäuser, y évoque les souvenirs de sa jeunesse :


Salut à toi, noble demeure !


dans une espèce de récit qu’on ne sait encore comment qualifier. Ce n’est point un air, ce n’est point un de ces beaux récitatifs tragiques comme il y en a dans Don Juan, dans Fidelio, dans le Freyschütz, dans la Vestale et dans les chefs-d’œuvre de Gluck, qui a presque créé cette forme intermédiaire entre le chant pur et développé et la déclamation notée de Lulli et de Rameau. Le chant d’Élisabeth n’a point de nom et ne saurait en avoir. Survient alors Tannhäuser, conduit par Wolfram, qui joue dans cette affaire un rôle bien singulier. Tannhäuser se jette aux pieds d’Élisabeth. L’entrevue des deux amans donne lieu à une longue scène dialoguée où les deux voix ne se réunissent que vers la conclusion, et forment alors, ce que dans le vieux style on appelle un duo, qui ne manque pas d’animation. Le landgrave vient annoncer à sa nièce la fête qu’il a ordonnée et la lutte des chanteurs-poètes qu’elle présidera avec lui. C’est pendant l’entrée des seigneurs et des nobles dames de la Thuringe dans la grande salle de la Wartbourg qu’on exécute la marche avec chœur, qui est le morceau le plus remarquable de toute la partition du Tannhäuser. Cette marche est belle, quoique peu originale, largement dessinée, et produit l’effet voulu par le poète et le compositeur, qui, par cette page de musique franche et vraie que le public a vivement applaudie, ont réfuté les misérables sophismes du réformateur. De deux choses l’une : si M. Wagner a raison comme théoricien et initiateur d’une musique nouvelle, il a été infidèle à ses propres doctrines dans la marche et le chœur que nous venons de citer, qui sont conçus et traités