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phrase, dessinée par les violons, qui dure plus de cent mesures. Sur ce trait persistant qui paraît avoir un sens profond, puisque l’auteur le fait revenir plusieurs fois dans le cours de sa légende, les instrumens à vent, particulièrement les trombones, jettent une sorte de clameur accentuée qui forme la péroraison de cette mystérieuse préface. L’ouverture en soi n’est pas bonne ; le coloris en est terne, et la charpente défectueuse. L’ouverture du Freyschütz, celles d’Oberon et d’Euryanthe, les ouvertures de Don Juan et de la Flûte enchantée, les quatre ouvertures de Fidelio, celle de Guillaume Tell, l’ouverture de Médée, de Cherubini, celle du Jeune Henri, de Méhul, qui est si connue, sont des morceaux de musique instrumentale qui portent avec eux leur signification, des raccourcis éclatans et vigoureux qui n’ont pas besoin d’un commentaire psychologique pour être facilement compris de tous. On sent tout d’abord que M. Wagner est un esprit confus qui embrasse plus qu’il ne peut étreindre.

Au lever du rideau, on aperçoit une vaste grotte où Vénus est couchée mollement ayant à ses pieds Tannhäuser assouvi et soupirant, songeant à je ne sais quel autre bonheur plus salutaire à son âme énervée ; des nymphes, des faunes, des bacchantes, tout le personnel du vieil olympe danse autour du couple amoureux. Vénus s’inquiète de la taciturnité hébétée de Tannhäuser, et lui demande : — À quoi songes-tu, ô toi que j’aime ? — Un rêve que j’ai fait, répond Tannhäuser, m’a rappelé les jours de ma jeunesse et les joyeux tintemens de la cloche matinale. — On ne peut pas s’imaginer de quelle espèce de musique M. Wagner a enveloppé cette scène de volupté, qui est un des lieux-communs les plus usés de la poétique de l’opéra. Ni la danse des nymphes, ni l’interminable dialogue des deux amans, qui se querellent sans se comprendre et sans que jamais les deux voix parviennent à s’étreindre et à former un ensemble tolérable, n’ont inspiré au compositeur un rhythme, une harmonie, une idée musicale quelconque qui fasse saillie au-dessus d’un vaste grouillement de sons où l’oreille éperdue ne sait à quel accident se prendre. Je n’exagère pas, et je prie le lecteur de croire que j’atténue l’expression de la vérité en disant que toute cette première scène du Tannhäuser, qui a été écrite à Paris et qui révèle la dernière manière du maître, ne peut se comparer à rien de ce qui existe en musique. C’est le chaos, c’est le néant, mais le chaos et le néant scientifiques ; c’est cette grande mélodie de la forêt qui n’a rien de commun avec la mélodie italienne et qu’on ne peut goûter qu’au soleil couchant. Vous croyez peut-être que je plaisante ? Écoutez plutôt ces beaux vers que Tannhäuser chante à Vénus :


…… Malgré ce vif délire,
Les doux parfums qu’ici j’aspire,
Tout me rappelle avec regret
L’air frais et pur de In forêt…


Le second tableau du premier acte transporte la scène dans une grande vallée pleine de lumière d’où l’on aperçoit le château féodal de la Wartbourg. Un jeune pâtre, assis sur une éminence, chante et sans accompagnement une espèce de cantilène étrange dont il répète le refrain sur son chalumeau :