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térêts, d’aspirations et d’idées. Protectionistes comme sous la restauration, papistes comme au temps de l’expédition de Rome, anglophobes comme aux beaux jours de Pritchard, tels nous sommes apparus, par l’organe de nos assemblées, à l’Europe étonnée et railleuse. Qu’on ne se trompe point à cette bizarre contradiction : il n’y faut voir que l’effet d’une interruption de dix ans dans la vie politique du pays. En quelques bonds, nous nous serons remis au courant.

C’est un fait curieux assurément, le contraste qui s’est ainsi révélé entre le sentiment dominant d’une assemblée représentative élue, telle que notre corps législatif, et les nécessités de la situation qu’ont créée de récens événemens. Ce contraste prouve-t-il, comme quelques-uns le pensent, que la dissolution du corps législatif soit nécessaire ? La question ne nous regarde point, et, nous le confessons, nous intéresse médiocrement. Au point de vue de l’application du décret du 26 novembre, les débats du corps législatif ont fourni matière à des observations qui nous paraissent plus attachantes. On a vu pour la première fois l’effet que devaient produire sur le corps législatif la publication intégrale de ses séances et la mise en œuvre du système des ministres sans portefeuille. Les faits n’ont point trompé nos prévisions. Il est évident que le corps législatif, parlant plus directement à la fois au gouvernement et au public, a pris un sentiment plus vif de sa double responsabilité et de son importance. Cette première application du décret du 24 novembre a positivement agrandi la situation du corps législatif auprès du gouvernement et dans le pays. On l’a bien vu au ton des discours, aux mouvemens de l’assemblée, à la combinaison des votes. Nous sera-t-il permis de dire, avec ceux du reste qui ont pris part ou qui ont assisté aux discussions de l’adresse, que cette situation, bien qu’agrandie, n’est pourtant point nettement réglée encore ? Comment se définira-t-elle ? Il nous semble que le décret du 24 novembre a posé des principes, et qu’il abandonne le développement des conséquences à la pratique et à la tendance naturelle des choses : de là le sentiment qui porte un grand nombre de députés à regarder la situation présente comme transitoire. Déjà, à les entendre, des changemens notables s’annoncent dans les habitudes intérieures du corps législatif. Il en est un par exemple qui méritait d’être remarqué, car sous un fait matériel on y peut voir l’indice d’une tendance morale qui peut avoir une véritable signification politique : nous faisons allusion à la façon dont les divers groupes d’opinions ont commencé à se répartir sur les sièges de la chambre. Jusqu’à présent, les députés au corps législatif avaient pris leurs sièges sans se préoccuper de la distinction des opinions : les relations d’intimité ou de société décidaient seules les députés dans le choix de leurs places ; mais lorsque les discussions politiques se passionnent et peuvent aboutir à des votes graves, il est naturel qu’on aime mieux se placer auprès de ceux auxquels on se sent lié par une communauté d’opinions qu’à côté de ceux auxquels on n’est uni que par des relations personnelles.