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alors, nous pouvons le demander, où donc est la Turquie, où donc sont les Turcs ? Est-ce que la première condition d’un empire, d’un état, n’est pas d’avoir une population ? Serait-ce par hasard en Syrie que sont les Turcs ? Est-ce à ce titre que l’Angleterre veut qu’on abandonne cette province à l’administration turque ? La Syrie n’est pas turque. « L’élément turc s’aperçoit à peine en Syrie, dit un jeune et très judicieux voyageur, M. George de Salverte[1]. Cette population y devient de plus en plus étrangère ; elle y est sensiblement moins nombreuse que dans les villes de l’Asie-Mineure, (on vient de voir qu’à Smyrne, en trente ans, la population turque a diminué de 20,000 âmes). Au-delà des chaînes du Taurus et dans toute la Syrie, à Latakié, à Tripoli, à Beyrouth, les Turcs sont aussi étrangers et moins nombreux peut-être que les Européens. Le contraste apparaît plus frappant encore dans les campagnes environnantes. Sans pousser jusqu’aux tribus arabes du désert, ne voit-on pas l’Anti-Liban peuplé de Metoualis presque sauvages, et le Liban placé par la Porte elle-même sous l’autorité d’un caïmacan chrétien ? D’un côté, les Druses, tour à tour idolâtres, turcs ou protestans, suivant les besoins de leur cause ; de l’autre, un grand nombre de chrétiens dissidens ? Enfin les Grecs unis, les Arméniens, les Maronites, que ni les persécutions ni les séductions de toute sorte n’ont pu détacher encore de l’église romaine ? »

Je répète malgré moi ma question : où sont les Turcs ? Qu’est-ce que l’empire turc ? L’empire turc est dans les discours de lord Palmerston ; il n’est que là, car il n’est pas même dans les cartons du foreign office, puisque c’est dans ces cartons que se trouvent les rapports véridiques et instructifs des consuls anglais que j’ai tâché d’analyser.

Je viens de lire dans l’extrait d’un vieil ouvrage arabe intitulé la Seconde arrivée de Mahomet sur la terre, et cité dans le premier numéro de la Revue d’Orient que publie à Londres le prince Pitzipios, je viens de lire ces paroles qu’on peut prendre, si l’on veut, pour une prophétie, elles en ont le vague ordinaire ; on peut cependant les appliquer sans effort à notre temps. « Longtemps après il naîtra un homme dans le pays appelé jadis Gelboosufyan en Arabie. Il massacrera les Syads, propagera ses propres doctrines dans les environs de la Syrie et de l’Égypte. À cette époque, une guerre éclatera entre une nation chrétienne et la Turquie, et cependant celle-ci sera en bonne intelligence avec une autre nation européenne. L’ennemi s’emparera de la ville de Constantinople, d’où le sultan de Turquie se sauvera en Syrie, et, avec l’aide d’une nation chrétienne, fera une guerre terrible contre une autre nation hostile à l’Europe.

  1. La Syrie avant 1860, pages 43-46.