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chrétiens ? En a-t-il la volonté ? Est-ce malgré lui, malgré ses efforts, qu’ont lieu ces affreux massacres qui épouvantent et irritent de temps en temps l’Europe ? Les pachas peuvent-ils et veulent-ils maintenir l’ordre ? C’est là ce que prétendent les ministres anglais dans le parlement ; c’est en vertu de la confiance qu’ils ont dans la bonne volonté et dans la puissance des pachas turcs qu’ils demandent à la France de retirer ses troupes de Syrie et de laisser les chrétiens à la merci de leurs meurtriers. Écoutons ce que le consul anglais de Jérusalem, M. Finn, répond à la question de sir Henri Bulwer : « Lorsqu’il y a des actes d’oppression contre les chrétiens, faut-il les attribuer à la conduite du gouvernement ou au fanatisme de la population ? » — « L’oppression des chrétiens commence ordinairement par la populace fanatique ; mais ces violences fanatiques ne sont ni réprimées ni punies par le gouvernement,… et même le fanatisme populaire n’éclate que lorsque la tendance fanatique du gouverneur s’est manifestée. » Les observations du consul anglais d’Alep ne sont pas moins significatives ; je me borne à dessein aux rapports des consuls de Syrie : « L’état de la population musulmane dans le cercle de mon consulat est fort différent de celui des autres provinces de l’empire ottoman, qui ont plus de contact avec les idées de l’Europe. Ici la race dominante est encore ce qu’elle était partout il y a trois ou quatre siècles, orgueilleuse et intolérante. On ne trouve point ici ce mélange produit par l’envahissement du commerce européen et les résultats d’une prétendue civilisation greffée sur le vieux tronc musulman. Le commerce de la Grande-Bretagne, de l’Autriche, de la France et de la Suisse a pris beaucoup d’extension ; mais c’est un élément à part dans la société, et il exerce peu d’influence sur l’esprit musulman. Les descendans de l’aristocratie arabe et des conquérans turcs vivent sans savoir et sans comprendre les empiétemens de la civilisation européenne, et ferment les yeux à l’accroissement de la prépondérance chrétienne. — Les glorieuses traditions des deux partis qui divisaient autrefois la société turque, et qui partout ailleurs sont oubliées, sont encore vivantes à Alep. L’association des janissaires n’a jamais été détruite ici, et les membres de cette association se réunissent en secret pour entretenir la mémoire de leur vieille prépondérance. Les chérifs en turban vert réclament et reçoivent ainsi qu’autrefois les hommages du peuple, comme descendans du prophète. C’est en vain qu’on essaie de leur parler de la décadence de l’islam ; ils n’y croient pas. Vivant dans le cercle étroit de leur dédaigneux isolement, ils ne s’occupent que de leurs rivalités de personnes et de partis. Leur religion, fondée sur l’orgueil, n’admet pas qu’une religion fondée sur l’humilité soit compatible avec la puissance et la