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Que telle ait été l’intention à l’origine, il se peut ; quant aux résultats, c’est autre chose. Cette responsabilité sans limites à laquelle on ne pouvait échapper que par une faveur spéciale et toujours achetée au prix d’une avance considérable, cette juridiction laissant au sociétaire lésé si peu de chance de faire valoir son droit, tout cela semblait calculé pour déconcerter l’esprit d’association, et constituait dans la pratique une sorte de privilège au profit des capitalistes influens. L’Angleterre, après tout, n’était pas le seul pays où la loi sur les sociétés commerciales aurait été combinée de manière à empêcher que le groupement des petites économies ne fit concurrence aux gros coffres-forts. Un esprit tout nouveau préside aujourd’hui aux destinées du peuple anglais, et même au sein des classes supérieures on est devenu assez clairvoyant pour ne plus s’effrayer des progrès que pourrait faire la multitude et de la consistance qu’elle pourrait prendre sous le régime d’une franche liberté. Sauf le cas où il s’agirait de constituer un monopole ou d’aliéner quelque parcelle du domaine national, comme dans l’ouverture d’un chemin de fer ou la distribution du gaz, l’établissement d’une société commerciale est considéré comme une transaction ordinaire. Le gouvernement renonce à dicter la forme du contrat et laisse les citoyens à peu près libres de pondérer leurs intérêts comme ils l’entendent. En vertu de plusieurs bills édictés entre 1855 et 1858, la formation des sociétés par actions avec responsabilité limitée, c’est-à-dire analogues à nos sociétés anonymes, est devenue en quelque sorte le droit commun. Au lieu d’effaroucher l’actionnaire en lui imposant des obligations ruineuses, le gouvernement n’intervient plus que pour le rassurer, en prescrivant certaines formalités qui offrent des garanties de publicité et de contrôle, sans entraver la liberté des contractans. Au cas de contestations entre associés, on a augmenté les moyens d’obtenir justice en attribuant à un autre tribunal la compétence réservée jusqu’alors à la cour de chancellerie. Les anciennes compagnies ont été mises en demeure d’opérer leur transformation conformément aux principes de la loi nouvelle, et elles l’ont fait avec empressement. Si les sociétés commerciales ont pu se multiplier en Angleterre au milieu des obstacles et des embûches du régime précédent, il est à croire que le génie d’entreprise va se retremper encore dans une loi intelligente et sincère, et qu’on s’étonnera bientôt au spectacle des forces latentes qui vont surgir.

La réforme des sociétés de commerce n’a été appliquée aux banques que postérieurement et avec quelques restrictions, parce qu’il fallait tenir compte du monopole de la banque d’Angleterre. Si on se place pour le juger au point de vue de la théorie, le régime actuel paraît assez anomal. Toutefois le public ne s’en plaint pas. Les