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dente conviction d’Huskisson. En 1826, la prohibition absolue des soieries étrangères fut enfin remplacée par un droit proportionnel de 30 pour 100. À cette époque, les manufactures anglaises mettaient en œuvre 1,260,000 kilogrammes de soie brute ; vingt ans plus tard, elles en employaient 3,413,000 : le nombre des métiers était triplé. On découvrit en 1845 que la prime exigée par les contrebandiers pour l’introduction frauduleuse des étoffes de soie n’était que de 15 pour 100, tandis que le droit perçu par la douane était de 30 pour 100. On modifia en conséquence le tarif légal, et la fabrication augmenta encore. Arrive l’exposition universelle de Londres : les merveilles de l’industrie lyonnaise sont mises en regard des produits similaires ; les manufacturiers anglais reconnaissent leur infériorité. Vont-ils demander qu’on les garantisse de la concurrence ? Bien au contraire. En novembre 1852, vingt-sept manufacturiers de Manchester adressent au chancelier de l’échiquier un mémoire où ils exposent que le reste de protection conservée en leur faveur ne sert qu’à paralyser leur industrie, en propageant cette opinion que les produits anglais sont inférieurs à ceux des fabriques continentales ; que si les producteurs arrivaient au contraire à une large exportation, il leur deviendrait possible d’améliorer leur travail au point de soutenir à tous égards la concurrence des étrangers : en conséquence, ils demandent au gouvernement « qu’il lui plaise de les soulager en abolissant les droits sur les tissus de soie d’origine étrangère, non partiellement et graduellement, mais totalement et immédiatement. » Les manufacturiers de Spitalfields et de Coventry ne montrant pas une résolution aussi ferme que ceux de Manchester, le gouvernement hésite. On envoie à Paris pour l’exposition de 1855 des commissaires chargés de comparer les produits de tous les pays : ceux-ci déclarent que si la palme du bon goût et de la fantaisie élégante reste encore aux Français, les fabriques nationales peuvent défier toutes les concurrences en ce qui concerne la solidité du tissu, la teinture et le bon marché. Ces résultats étant acquis, les hommes sensés comprennent qu’il n’y a plus d’inconvénient à renverser les dernières barrières, et que l’introduction d’une certaine quantité d’articles de luxe, loin de compromettre l’existence des fabriques anglaises, ne sera qu’un moyen de compléter leur éducation et de leur faire sentir l’aiguillon de la concurrence. C’est alors qu’à l’occasion du traité de commerce avec la France, on enlève à l’industrie des soieries ses derniers privilèges pour la livrer à toutes les éventualités du libre échange[1]. J’ai rapproché ces faits au

  1. On aurait tort d’attribuer d’une manière absolue au récent traité, de commerce cette crise passagère que les journaux anglais appelaient, il y a deux ou trois mois, la grande détresse de Coventry. Le premier mouvement des manufacturiers de cette ville ayant été de réduire les salaires de leurs ouvriers, ceux-ci se mirent en grève : au moment où ils étaient à bout de ressources, un hiver excessif les surprit, et ils eurent cruellement à souffrir ; mais au premier appel fait à la bienfaisance publique les secours arrivèrent abondamment, et il y a déjà plus d’un mois que la municipalité de Coventry a fait savoir par la voie de la presse que la crise tirait à sa fin, et que les subventions envoyées si généreusement n’étaient déjà plus nécessaires.