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avec les principes. L’impulsion étant donnée, des pétitions analogues, impliquant la demande d’une enquête, furent envoyées de Glasgow, de Manchester et de Bristol. Si l’on est curieux de savoir ce qu’était en 1820 l’opinion du public anglais sur le libre échange, on en trouvera le reflet exact dans les débats provoqués par la pétition des marchands. L’assemblée presque tout entière prend d’abord cette attitude dédaigneuse avec laquelle on repousse les utopies déraisonnables, indignes de discussion. Quelques orateurs à l’esprit aventureux mettent en relief les abus du régime en vigueur, tout en avouant qu’une transformation radicale comme celle qui est suggérée par les pétitionnaires est pleine de difficultés et de périls. Cette thèse est celle que soutient lord Liverpool dans la chambre haute. À coup sûr, selon lui, il serait heureux pour l’humanité que toutes les nations fussent constituées sur les basés de la liberté commerciale ; mais il n’en est pas ainsi : chacune d’elles a pourvu à sa propre défense. L’Angleterre pourrait peut-être adoucir les lois protectrices de ses fabriques, mais jamais celles qui défendent son agriculture, tant celles-ci sont identifiées avec ses institutions. Après tout cela, les pétitionnaires ne devaient pas s’attendre à beaucoup de succès. À leur grand étonnement, lord Castlereagh tire à part M. Baring, et lui déclare que si la formation d’un comité d’enquête est demandée, le gouvernement n’y fera pas obstacle[1].

Si l’on veut bien se rappeler que cet incident eut lieu dans un moment d’effroyable misère, au lendemain du jour où l’on venait de pendre à Londres Thistlewood et ses complices, et quand on annonçait de toutes parts que les ouvriers affamés forgeaient des armes, on comprendra qu’une enquête destinée à améliorer l’état économique ait été prise au sérieux par beaucoup d’esprits. Le comité des communes, composé de vingt-deux membres, parmi lesquels on distinguait MM. Frédéric Robinson, Baring, Canning, Huskisson, siégea pendant trois ans, et publia quatre volumineux rapports. Le comité de la chambre des lords restreignit le cadre de ses recherches, et ne publia que deux volumes. Les documens recueillis manquaient de méthode et de proportion : ils éclairaient surabondamment certaines spécialités du commerce extérieur, comme les lois de navigation, le privilège de la compagnie des Indes, les relations avec les colonies, l’importation du bois, et ici on surprend l’influence personnelle du promoteur de l’enquête. Si par hasard les rapporteurs abordaient les généralités et rendaient hommage au principe

  1. Il y aurait une sorte d’ingratitude à ne pas rappeler qu’au même moment lord John Russell introduisait sa fameuse motion qui a déterminé douze ans plus tard la grande réforme électorale, et que lord Brougham faisait prendre en considération un plan tendant à créer l’enseignement populaire.