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l’envoyer à Londres. Le choix tomba sur un baronet du Staffordshire, sir Charles Wolseley, qui s’était fait connaître par des manifestations démocratiques. L’élu répondit fièrement qu’il acceptait le mandat, et qu’il irait prendre possession de son siège à la chambre des communes. Cette nouveauté mit en ébullition les sociétés populaires ; un mot d’ordre courut dans tout le pays pour multiplier les élections de ce genre. Leeds s’empressa de faire la sienne. Hunt fut nommé dans une réunion des plus tumultueuses qui eut lieu le 21 juillet à Smithfield. À Manchester, siège des principaux meneurs, on voulut que le choix des députés eût le caractère d’un acte souverain. Une convocation extraordinaire fut faite pour le 16 août ; le meeting devait avoir lieu, comme toutes les réunions de ce genre, dans une vaste plaine à proximité de la ville, appelée le Champ Saint-Pierre.

Cependant le gouvernement, qui paraissait avoir accepté jusqu’alors comme une circonstance atténuante l’irritation causée par une extrême misère, était à bout de patience. Il est évident que si ces prétendus représentans du peuple avaient pu être nommés en grand nombre, ils auraient formé tout naturellement une sorte de convention opposée au parlement légal. Ordre fut donné d’arrêter Wolseley et quelques autres agitateurs désignés par les suffrages séditieux. Hunt avait été appelé à présider la grande assemblée de Manchester ; il n’eut garde de manquer au rendez-vous. Son passage à travers la ville fut une marche triomphale : il était debout sur une espèce de char, ayant à ses côtés la présidente du club des femmes de Blackburn, qui agitait fièrement une bannière. Les radicaux du comté avec les députations des divers centres industriels formaient une escorte qu’on a évaluée entre quatre-vingt et cent mille personnes. Cette armée marchait en colonnes serrées, affectant une allure martiale ; deux clubs féminins s’y trouvaient au grand complet et formaient un bataillon. On arriva ainsi au Champ Saint-Pierre, et la foule se déploya autour de l’estrade, frémissante d’avidité pour la parole de son orateur favori. Hunt avait à peine prononcé quelques mots qu’on vit apparaître un magistrat de police à cheval, suivi d’une quarantaine de cavaliers appartenant à la yeomanry, espèce de garde nationale recrutée alors parmi les propriétaires fonciers et les gros fermiers. Pendant que Hunt parlementait avec le magistrat chargé de l’arrêter, les yeomen, se sentant pressés dans la foule, enlevèrent leurs chevaux pour se dégager. Ce mouvement occasionna un grand trouble ; plusieurs corps de cavaliers étaient en observation dans le voisinage ; soit crainte que leurs camarades ne fussent en péril, soit impatience d’infliger une correction à cette tourbe qui les inquiétait depuis si longtemps, les