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uns et la couleur des autres. Au reste, un naturaliste dont le témoignage est bien peu suspect, un polygéniste bien décidé, Desmoulins, a réfuté d’avance la théorie qui semble vouloir se produire ici, et nous nous bornerons à renvoyer au chapitre de son livre intitulé Rapports zoologiques des hommes et des singes les personnes qui pourraient être tentées de se laisser séduire par ces rapprochemens inattendus.

Mais voici un argument plus étrange encore peut-être, et sur lequel il est difficile de glisser aussi légèrement, parce qu’il tend à mettre en suspicion toute une science qui, quoique nouvelle, a donné déjà et donne chaque jour des résultats aussi importans que curieux pour l’histoire de l’humanité. Agassiz nie la valeur ou mieux la réalité de la linguistique comparée. En cela, il est logique. En effet la manière dont les philologues modernes comprennent la filiation des langages, les rapports que chaque jour ils découvrent entre les dialectes d’une même langue, entre les langues parlées par les peuples les plus éloignés, les conséquences que, d’un commun accord, ils tirent de ces résultats relativement à la parenté des races, sont en contradiction flagrante avec la théorie d’Agassiz, avec toutes les doctrines de l’école américaine. Dans cette théorie, dans ces doctrines, l’homme est créé par nations ; chaque nation naît avec son langage, comme l’animal avec son cri particulier. Aussi Agassiz n’hésite point à assimiler ces deux choses. Ici nous sentons qu’il faut traduire pour ne pas être accusé de travestir les idées de l’auteur.

Dans son premier mémoire, il avait dit déjà : « La preuve tirée de l’affinité des langues de diverses nations en faveur d’une communauté d’origine est sans valeur, car nous savons que, parmi les animaux doués de la voix, chaque espèce a ses intonations particulières, et que les différentes espèces d’une même famille produisent des sons aussi étroitement rapprochés, formant des combinaisons aussi naturelles que peuvent le faire les langues appelées indo-germaniques, lorsqu’on les compare entre elles. Le chant des différentes espèces de grives qui habitent les diverses parties du monde présente la plus grande affinité. Personne ne tirera de ce fait la conséquence que toutes ces espèces d’oiseaux ont une origine commune. Et cependant, lorsqu’il s’agit de l’homme et de ses races, les philologues considèrent les affinités de langage comme présentant la preuve directe d’une pareille communauté ! »

Dans sa lettre à Nott et à Gliddon, Agassiz est plus explicite encore. « Ceux qui soutiennent l’unité primitive de l’espèce humaine, dit-il, attachent une grande importance à l’affinité des langues comme prouvant la nécessité d’une parenté directe entre tous les hommes ; mais on. peut en prouver autant de n’importe quelle famille animale, même de celles qui contiennent un nombre considérable d’espèces