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par des mots. Nous tous qui profitons des travaux antérieurs, nous pouvons donc, nous devons même, surtout lorsqu’il s’agit d’une discussion roulant en entier sur ces distinctions, dire nettement au début ce que signifient les termes qui vont être employés, et c’est ce que nous avons fait. Les polygénistes au contraire ont eu un double tort, celui d’oublier les choses et celui de prendre les mots les uns pour les autres. De là résulte dans leurs écrits, dans leurs idées, la confusion dont nous avons signalé des exemples dans notre étude précédente, et que nous retrouverons au fond de presque tous leurs argumens.

Il est une autre notion générale qui ne fait guère moins défaut aux adversaires du monogénisme : c’est celle des actions de milieu. D’ordinaire les polygénistes cherchent à se rapprocher des naturalistes de l’école philosophique[1] : le nom des Lamarck et des Geoffroy Saint-Hilaire n’est prononcé par eux qu’avec vénération ; mais dès qu’il s’agit du milieu, ils oublient les théories les plus caractéristiques de cette école, les doctrines le plus hautement professées par ceux qu’ils acclament comme des maîtres. Alors ils passent aux écoles contraires, et vont bien plus loin que les disciples de Cuvier ou de Blainville lui-même. En dépit de leurs théories absolues, ceux-ci reconnaissaient, au moins dans la pratique, la puissance modificatrice des actions extérieures, et voilà comment, au risque de se rencontrer avec les naturalistes philosophes, ils se mettaient d’accord avec les faits et retrouvaient la race à côté de l’espèce. Les polygénistes au contraire nient expressément cette action du monde extérieur ou s’efforcent d’en amoindrir les résultats les plus évidens. Pour eux, le milieu est à peu près sans influence, et en tout cas il ne saurait altérer d’une façon sérieuse la forme primitive, pas même la couleur. Ils sont donc encore ici en contradiction avec tous les naturalistes, mais surtout avec les naturalistes philosophes[2].

La négation des actions de milieu, des notions confuses et incomplètes sur l’espèce et la race, permettent seules d’expliquer comment

  1. Non pas de tous. Il est digne de remarque que les polygénistes qui exaltent le plus Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire ne prononcent jamais le nom de Buffon. On dirait que pour eux Buffon n’est pas un naturaliste philosophe.
  2. Si l’on voulait mettre en doute l’exactitude de nos paroles, on nous permettrait d’invoquer le septième chapitre de la Philosophie zoologique de Lamarck. Ce chapitre est intitulé : De l’influence des circonstances sur les actions et les habitudes des animaux, et de celle des actions et des habitudes de ces corps vivans, comme causes qui modifient leur organisation et leurs parties. À lui seul, ce titre suffit pour indiquer que Lamarck serait avec nous contre ses singuliers admirateurs. Quant à Geoffroy Saint-Hilaire, il suffit de se rappeler ses discussions avec Cuvier à propos de l’action du milieu ambiant pour être convaincu que c’est nous qu’il aurait regardé comme son disciple bien plutôt que les polygénistes. En effet, dans cette discussion, Geoffroy s’est incontestablement montré plus physiologiste que son redoutable adversaire.