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Les étoiles brillaient depuis quelque temps déjà lorsque la brigade Eber arriva ; elle venait prendre son campement dans la ville à la place des troupes du général Cosenz, qui partaient pour Monteleone. Nous étions accoudés au balcon de l’évêché, où nous avions notre logement, respirant à pleins poumons la bonne brise du soir, lorsque l’on vint nous donner une sérénade. Une guitare et quatre trombones composaient l’orchestre, qui, à défaut de chant national ou patriotique, nous joua l’air napolitain si connu sous le nom de Piedigrotta ; la pauvre guitare bourdonnait et frétillait de toute la force de ses cordes pour faire entendre un peu sa petite voix plaintive au milieu des tron tron cuivrés des trombones qui jouaient faux à faire grincer des dents. Nous subîmes sans nous plaindre cette terrible aubade, car il faut savoir souffrir pour la bonne cause ; mais nos soldats étaient las, ils avaient besoin de dormir, et ils ne tardèrent pas à reconnaître que cette musique endiablée ne portait pas précisément au sommeil : ils prirent donc délicatement les musiciens par le bras et les conduisirent chez eux avec force complimens, en les engageant à se taire d’abord et ensuite à se coucher.

Les approches de Monteleone, où nous arrivâmes le lendemain dans la matinée, sont d’une beauté grasse et plantureuse, qui me charma d’autant plus que j’avais encore dans les yeux le souvenir des tristes paysages traversés la veille. Ces campagnes, fleuries étaient célèbres dans l’antiquité. Proserpine, échappée de Sicile, vint récolter des fleurs dans les champs d’Hipponium, qui fut ensuite Vibona-Valentia et plus tard Monteleone. En souvenir de la fille de Cérés, les femmes du pays cueillaient elles-mêmes les fleurs dont elles tressaient leurs couronnes pendant les jours de fêtes sacrées. À gauche, vers l’ouest, la Méditerranée échancre les côtes par un beau golfe adouci qui ressemble au galbe d’un vase antique ; à droite, les champs verdoyans, plantés de mûriers, où se mêlent quelques pins-parasols, s’étendent, comme une nappe d’émeraude, jusqu’aux montagnes qui ferment l’horizon. Au bord d’une route ombragée par les trembles et les peupliers de Virgile, Monteleone se dresse en amphithéâtre, dominé par un vieux château à tourelles qui, du haut de la montagne, semble se pencher au-dessus d’un abîme. La ville m’apparaissait, sous un ciel ardent, baignée par des lueurs si perpendiculaires qu’elle me semblait noire, car la lumière ne dessinait plus d’ombres sur les murs. Cet effet étrange d’un soleil d’aplomb m’a souvent frappé dans les pays méridionaux, surtout dans le désert de Quosseyr, sur les bords de la Mer-Rouge, où, vers l’heure implacable de midi, la nature revêt une teinte morne, farouche, et d’une lumière si intense qu’elle en paraît obscure. Arrivant, partant, nos troupes se croisaient, se heurtaient dans la ville avec une telle rumeur