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vous n’avez qu’à vous transporter par l’imagination à l’endroit où elles convergent, et vous avez à cet endroit l’impression d’une ligne qui se courbe, c’est-à-dire qui cesse d’être droite. Cette présence imaginaire tient lieu d’une présence réelle ; vous affirmez par l’une ce que vous affirmeriez par l’autre, et du même droit. La première n’est que la seconde plus maniable, ayant plus de mobilité et de portée. C’est un télescope au lieu d’un œil. Or les témoignages du télescope sont des propositions d’expérience, donc les témoignages de l’imagination en sont aussi… Quant à l’argument qui distingue les axiomes et les propositions d’expérience, sous prétexte que le contraire des unes est concevable et le contraire des autres inconcevable, il est nul, car cette distinction n’existe pas. Rien n’empêche que le contraire de certaines propositions d’expérience soit concevable, et le contraire de certaines autres inconcevable. Cela dépend de la structure de notre esprit. Il se peut qu’en certains cas il puisse démentir son expérience, et qu’en certains autres il ne le puisse pas. Il se peut qu’en certains cas la conception diffère de la perception, et qu’en certains autres elle n’en diffère pas. Il se peut qu’en certains cas la vue extérieure s’oppose à la vue intérieure, et qu’en certains autres elle ne s’y oppose pas. Or on a déjà vu qu’en matière de figures, la vue intérieure reproduit exactement la vue extérieure. Donc, dans les axiomes de figure, la vue intérieure ne pourra s’opposer à la vue extérieure ; l’imagination ne pourra contredire la sensation. En d’autres termes, le contraire des axiomes sera inconcevable. Ainsi les axiomes, quoique leur contraire soit inconcevable, sont des expériences d’une certaine classe, et c’est parce qu’ils sont des expériences d’une certaine classe que leur contraire est inconcevable. De toutes parts surnage cette conclusion, qui est l’abrégé du système : toute proposition instructive ou féconde vient d’une expérience, et n’est qu’une liaison de faits.


V

— Ceci est un chef-d’œuvre de stratégie philosophique. Voilà que vous avez détruit ou ramené dans votre camp les meilleurs soldats de l’adversaire. Il n’y a plus de sources de science hors des laboratoires ! Il n’y a plus de clé de la nature en dehors de l’induction !

— Certainement.

— Alors, selon Mill, qu’est-ce que l’induction ?

— C’est l’opération[1] « qui découvre et prouve des propositions générales. C’est le procédé par lequel nous concluons que ce qui est

  1. Tome 1er, p. 202, 207, 310, 330.