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On se souvient encore que l’Autriche le fit saisir et emprisonner, le réclamant comme un ancien officier déserteur de ses armées impériales. En de telles questions, l’Angleterre n’entend point raillerie, et sur ses observations, qui furent vives, pour ne pas dire plus, le colonel Türr fut relâché. Un esprit aussi pénétrant que le sien, toujours tendu vers les moyens de délivrer sa patrie, ne pouvait se méprendre aux signes qui annoncèrent la guerre de 1859. Türr accourut en Italie, et fit avec Garibaldi cette étrange campagne dont Como et Varese furent les victoires. Dans un combat près de Brescia, il tomba frappé d’une balle autrichienne. Une blessure au bras gauche, dont l’humérus était fracassé en trois morceaux, le retint des semaines et des mois immobile sur un lit d’où il ne devait se relever qu’estropié. Aujourd’hui ce bras inerte et sans force pend le long de son corps, et c’est à peine si sa main affaiblie peut lui rendre quelques services.

Était-il rétabli quand l’expédition de Sicile fut décidée ? Tout au plus. Il ne s’embarqua pas moins le 6 mai, emmenant avec lui son ami Tücköry, qui le premier devait baigner de son sang la terre enfin libérée et offrir sa vie en holocauste aux dieux jaloux des peuples qui cherchent leur indépendance. À Marsala, Türr débarqua le premier ; il était à Calatafimi, il était à Palerme, où il fut blessé ; toujours près de Garibaldi, veillant avec lui quand les autres dormaient, étudiant les positions, cherchant les routes, préparant les combats prochains, il donnait à tous un exemple que tous suivaient. Après la capitulation de Palerme, prenant sa route par l’intérieur du pays, il partit pour Catane ; mais sa santé ne put lutter contre le climat brûlant et réellement meurtrier de la Sicile pendant le mois de juin : malgré ses efforts et son énergie habituelle, il tomba sérieusement malade. Garibaldi s’en inquiéta : il comprit que ce jeune homme, qui donnait sa vie avec tant d’abnégation, aurait plus tard d’impérieux devoirs à remplir envers la Hongrie, et il l’envoya sur le continent prendre un mois de repos. Le général Türr se rendit aux eaux d’Aix en Savoie afin de retrouver assez de forces pour achever la campagne, et, s’embarquant à Gênes, comme je l’ai dit, dans les premiers jours du mois d’août 1860, il vint reprendre le commandement de ses troupes, qui l’acclamèrent en le revoyant. À Messine, de nouvelles fatigues l’attendaient, que l’activité forcée de sa vie ne lui permettait point de réparer. Depuis le départ de Garibaldi, toutes les charges écrasantes du commandement en chef à l’heure d’un débarquement étaient retombées sur lui, et il succombait littéralement sous le poids des lassitudes qui avaient ravivé son mal, lorsque, pour lui aussi, arriva le moment de partir.

Rien ne l’arrêta cependant, et à quatre heures et demie nous allâmes