Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvons, et nous n’y trouvons pas autre chose. « Décomposez, dit Mill, une proposition abstraite par exemple : — une personne généreuse est digne d’honneur[1]. — Le mot généreux désigne certains états habituels d’esprit et certaines particularités habituelles de conduite, c’est-à-dire des manières d’être intérieures et des faits extérieurs sensibles. Le mot honneur exprime un sentiment d’approbation et d’admiration suivi à l’occasion par les actes extérieurs correspondans. Le mot digne indique que nous approuvons l’action d’honorer. Toutes ces choses sont des phénomènes ou états d’esprit suivis ou accompagnés de faits sensibles. » Ainsi nous avons beau nous tourner de tous côtés, nous restons dans le même cercle. Que l’objet soit un attribut ou une substance, qu’il soit complexe ou abstrait, composé ou simple, son étoffe pour nous est la même : nous n’y mettons que nos manières d’être. Notre esprit est dans la nature comme un thermomètre est dans une chaudière : nous définissons les propriétés de la nature par les impressions de notre esprit, comme nous désignons les états de la chaudière par les variations du thermomètre. Nous ne savons de l’un et de l’autre que des états et des changemens ; nous ne composons l’un et l’autre que de données isolées et transitoires : une chose n’est pour nous qu’un amas de phénomènes. Ce sont là les seuls élémens de notre science : partant, tout l’effort de notre science sera d’ajouter des faits l’un à l’autre, ou de lier un fait à un fait.


II

— À la bonne heure, voilà une grande idée, et riche de conséquences, on ne peut être meilleur disciple de Bacon, plus ennemi des vérités à priori, plus amateur de la pure expérience. Si votre homme sait raisonner, il va tout renouveler avec son principe ; il ne verra, dans toutes les formes et à tous les degrés de la connaissance, que la connaissance des faits et de leurs rapports. — Il n’y voit pas autre chose. — Alors il change l’idée qu’on avait du but et des moyens de la science ? — Oui. — Il retaille les deux pierres angulaires de la logique, la théorie de la définition et la théorie de la preuve ? — Certainement. — J’ai peur qu’il ne les écorne. Attendez que vous ayez vu. — J’écoute. — Non, parlez ; à vous d’exposer la théorie de l’ancienne école — Soit ; voici l’idée qu’on a chez nous de la définition. Prenez, disent les logiciens, un animal, une plante, un sentiment, une figure de géométrie, un objet ou un groupe d’objets quelconques. Sans doute l’objet a ses propriétés,

  1. Tome Ier, p. 110.