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s’ils ne prennent un rôle, et qui s’agite depuis quelque temps dans tous les parlemens, — hier à Berlin et à Londres, aujourd’hui à Paris, demain à Turin même ? C’est la question qui vient de s’élever dans le congrès de Madrid, après avoir été bien des fois ajournée, et qui a provoqué une discussion où la lutte semble s’être particulièrement engagée entre les progressistes et le gouvernement. Le peuple espagnol, il faut le dire, s’est montré tout d’abord favorable à la cause italienne au commencement de la guerre de 1859 ; la neutralité officielle dans laquelle il se renfermait, et qui était son rôle le plus naturel, n’excluait pas une sérieuse sympathie morale qui se manifestait dans les discussions parlementaires. L’Espagne cependant se trouvait dans une position spéciale et singulièrement compliquée : par le principe de ses institutions, par affinité de race autant que par instinct, elle était entraînée vers l’Italie ; mais en même temps, comme nation catholique, elle s’intéressait à tout ce qui touchait les possessions temporelles du saint-siège ; de plus, par les liens qui rattachent sa maison royale à la maison des Bourbons de Parme et à la royauté napolitaine, elle se trouvait en quelque sorte limitée dans ses sympathies pour la cause italienne par des intérêts de dynastie. De là la complexité et l’embarras de sa situation, de sa politique. Le gouvernement espagnol est-il neutre dans les affaires d’Italie ? Sans aucun doute, il est neutre ; il a déclaré qu’il n’avait jamais eu, qu’il ne pouvait avoir la pensée d’intervenir, qu’il n’avait ni argent ni soldats à fournir, qu’il ne pouvait que mesurer son action à celle de toutes les puissances réunies en congrès. Quel est toutefois le sens de cette neutralité ? On peut la caractériser d’un mot : c’est une abstention matérielle, accompagnée d’une hostilité morale qui n’a fait que s’accroître à mesure que les événemens ont grandi et que l’indépendance de l’Italie a pris la forme de l’unité.

C’est là, ce nous semble, le résumé des discours du ministre d’état, M. Calderon Collantes, qui a été à Madrid, autant qu’on peut l’être ailleurs, l’accusateur des Italiens, du Piémont, le chaud défenseur des pouvoirs tombés au-delà des Alpes. Malheureusement on est porté à se demander quel est l’avantage de cette abstention matérielle accompagnée d’une hostilité morale si hautement avouée, ou de cette manifestation de principes conservateurs du haut de laquelle on retombe soudain dans une neutralité qui risque de n’être plus qu’un acte d’impuissance, quand elle devrait être le choix libre et réfléchi d’un gouvernement s’inspirant d’une idée politique. C’est un fait à remarquer aujourd’hui et partout : nul n’oserait refuser sa sympathie à la cause d’un peuple revendiquant son indépendance et aspirant à s’organiser dans des conditions nationales ; nul ne mettrait en doute que ces gouvernemens si cruellement atteints par la fortune au-delà des Alpes n’aient commis bien des fautes ; mais d’un autre côté il est presque de mode et de bon air de poursuivre d’une sévérité outrée les Italiens, le Piémont, le roi Victor-Emmanuel, M. de Cavour, de relever les pouvoirs qu’on représentait naguère comme allant au-devant de leur ruine, dont la