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mêmes une cause d’apoplexie foudroyante, c’est-à-dire de suppression. Enfin, outre les avertissemens officiels, le régime de la presse comporte les avertissemens officieux. M. Dupin est-il bien sûr que les spéculateurs au temps de leur prospérité n’ont jamais pu décourager quelque sentinelle vigilante en faisant tourner à leur propre profit la pratique des avertissemens officieux ? La presse est donc innocente, et si M, Dupin veut être conséquent avec lui-même, s’il veut que la presse rende en effet à la société, et dans la sphère des intérêts matériels, les services qu’elle lui doit, il faut qu’il s’attaque à la législation qui régit les journaux. Mieux éclairé, il ne manquera pas sans doute de le faire à la prochaine occasion ; nous serions surpris en effet que l’argument qu’il vient de fournir à la cause de la liberté de la presse demeurât stérile, et que l’on ne se servit point, pour revendiquer victorieusement la liberté des journaux, de la complicité manifeste que le régime du monopole a prêtée aux abus de spéculation dont s’indignent aujourd’hui M. Dupin et les ministres.


E. FORCADE.


ESSAIS ET NOTICES.
AFFAIRES DE POLOGNE.


Les événemens de Varsovie ont surpris et ému tout le monde. Sera-t-il permis à un ancien député qui se souvient d’avoir voté tous les ans la revendication de la nationalité polonaise, lui sera-t-il permis de dire que cette réapparition inattendue d’une nationalité qu’on voulait croire morte l’a fait tressaillir d’aise, non pour la puérile satisfaction de montrer que les chambres du régime parlementaire se trompaient moins qu’on ne l’a dit, mais pour la joie très légitime qu’ont dû ressentir ceux qui croient que les vrais droits ne périssent jamais dans ce monde ? Ils s’éclipsent ; ils ne meurent pas.

On a beaucoup dit que les chambres de la monarchie de 1830 n’attestaient chaque année la nationalité polonaise que par haine de la Russie et pour faire pièce à l’empereur Nicolas. Nous savons bien que l’empereur Nicolas s’était fait un étrange point d’honneur de témoigner en toute occasion sa mauvaise humeur contre la France ; mais en parlant de la Pologne, les chambres françaises ne songeaient point à prendre leur revanche. Elles avaient une idée plus juste et plus haute : elles défendaient le droit public de l’Europe, et elles avaient d’autant meilleure grâce à le défendre, que ce droit public de l’Europe avait été établi en 1815, et par conséquent contre la France. Comme la France le supportait dans ce qu’il avait de fâcheux et d’injuste contre elle, elle pouvait et elle devait en réclamer le respect dans