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plaie est bien autrement large que de celui où elle entre. Le sang par là s’écoule plus vite, et plus vite aussi les forces s’en vont. Or, en certaines circonstances, quelques secondes gagnées ainsi vous sauvent tout simplement d’une mort sans cela inévitable. Raisonnons, mon cher monsieur, raisonnons juste, c’est là le grand point.

Dans les grandes occasions, ne vous embarquez jamais sans un sabre. À cheval, cela va de soi ; mais même à pied ne négligez pas cette précaution. Le sabre est une arme sans pareille, quand on sait s’en servir. Pour éviter qu’il ne traîne à terre, il faut, à pied, le fixer en baudrier, non à la ceinture. Ayez encore, ainsi que vos acolytes, le shikar, ou poignard de chasse, dont le fourreau s’adapte, sur la poitrine, à votre shooting-coat. Vous l’avez ainsi toujours à portée de main, et il est telle rencontre, désespérée d’ailleurs, où vous pourrez lui devoir votre salut. Le fourreau doit être à ressort, de manière à ce que le shikar n’en sorte pas à la première sommation. Avez-vous à l’en tirer : du petit doigt vous pesez sur ce ressort, tandis que les quatre autres étreignent vigoureusement le manche. Mes poignards de chasse ont environ sept pouces de long. La lame, large d’un pouce et demi, est à double tranchant sur une partie de sa longueur ; cannelée, elle s’effile en une pointe aiguë qu’il faut avoir le plus grand soin de maintenir intacte. Du reste, j’en ai laissé le modèle chez Wilkinson.

Un bon cheval de chasse vaut son poids en argent. Par un bon cheval, j’entends celui qui se jette sans hésitation dans les jungles les plus épais, s’arrête au premier signe, et du haut duquel vous tirez sans qu’il bouge. Il le faut agile. Courir le porc n’est point une petite besogne… Ah ! vous voici bien étonné !… Mais la chasse aux pourceaux dans l’Inde est une des plus amusantes. J’y ai gagné quelques lances d’honneur. Laissez-moi vous en parler.

Nous sommes dans le Deccan, je suppose, et près d’un de ces bois de dattiers qu’on appelle sandbunds. Il s’agit, pour passer le temps, d’organiser une battue, une hankwa, et je suis chargé de la besogne ; je suis, comme on dit, le capitaine de la chasse. Je commence par faire grimper sur les arbres les plus élevés une vingtaine de paysans. Ces guetteurs ont en main de petits pavillons blancs, de la dimension d’un mouchoir de poche, au bout d’un bâton de deux ou trois pieds. Je place en outre aux issues du couvert que nous allons explorer des hommes armés de pistolets. Ils ont pour consigne de ne tirer que lorsqu’ils signalent le porc hors de portée et bien avant dans la plaine ouverte. Les chasseurs, tous à cheval, sont accouplés et postés par moi. Une obéissance implicite est due à mes ordres, sans quoi ces questions délicates donneraient, lieu à d’interminables discussions. Il est entendu qu’ils ne se lanceront après l’animal que