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n’en sont pas moins nombreuses. Griquas et Bastards tiennent d’ailleurs à des degrés divers des deux races mères. Tous les voyageurs s’accordent sur ce point et n’ont fait que confirmer, en termes plus ou moins brefs, les détails très précis donnés par Levaillant[1]. Pas plus au physique qu’au moral, les premiers, en dépit de la prédominance du sang africain, ne sont redevenus, comme on l’a affirmé, une race africaine presque pure. Aujourd’hui les Griquas forment une population de 10 ou 12,000 âmes, ayant un gouvernement régulier à peu près indépendant ; ils ont abandonné pour la culture la vie errante et pastorale de leurs ancêtres noirs ; ils élèvent à l’européenne des troupeaux de 1,000 à 1,500 mérinos ; ils construisent des maisons, et leur chef, Adam Kok, possède un moulin dont la construction lui a coûté 10,000 francs. Tous comprennent l’importance de l’instruction ; à Philippolis, le maître d’école est salarié par la ville, et tous les enfans savent lire et écrire[2]. Ainsi tout annonce que, si la politique anglaise n’y met obstacle[3], on verra se former dans le vaste bassin de l’Orange un peuple considérable ayant ses caractères propres, et qui aura pris naissance sous les yeux des générations actuelles.

On voit que tout en envisageant les faits qui se passent dans le midi de l’Afrique d’une manière plus complète que ne l’avait fait Prichard, nous n’en arrivons pas moins aux mêmes conclusions. Les polygénistes nous opposeront sans doute leur objection habituelle. La population métisse, diront-ils, au Cap comme partout ailleurs, s’est recrutée et se recrute encore par les croisemens directs ; par conséquent cet exemple ne prouve rien. — Nous pourrions laisser le lecteur se prononcer sans autres preuves. Ce que nous avons vu suffirait sans doute pour qu’il jugeât comme nous la valeur de cet argument ; mais il est bon d’enlever aux polygénistes même ce dernier retranchement. Citons donc encore un exemple contre lequel on ne saurait rien invoquer de pareil.

  1. Ici comme presque partout ailleurs, les témoignages les plus récens montrent combien sont mal fondés les reproches adressés à un voyageur que l’injustice de ses contemporains a presque fait passer pour un simple romancier. Au reste, Walkenaer lui a rendu pleinement justice dans l’introduction qu’il a placée en tête de l’analyse de ses voyages. Histoire générale des Voyages.
  2. J’emprunte ces détails à une lettre que M. Cazalis, qui a passé vingt-trois ans au milieu des populations indigènes de l’Afrique méridionale, a bien voulu m’adresser en 1857.
  3. Cette politique s’est déjà traduite par une ordonnance qui défend de vendre aux Griquas et aux Béchuanas, leurs voisins et alliés, la poudre et les armes à feu nécessaires pour se défendre contre les peuplades environnantes. Livingstone, ayant à parcourir cette contrée pour pénétrer au cœur de cette Afrique méridionale, qu’il devait traverser le premier, ne put obtenir d’emporter que dix livres de poudre, tant on craignait de fournir involontairement des munitions aux Béchuanas.