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des intendans, qu’un tel mode d’exploitation est applicable seulement aux grandes fermes, puisqu’il entraîne, outre les frais ordinaires, les frais de la régie elle-même, et qu’on ne trouve pas encore en France, pour l’appliquer d’une manière utile, beaucoup de sujets convenables. Le bon régisseur est peut-être actuellement celui des employés qu’on rencontre le plus difficilement. Nos mœurs et la médiocrité presque générale des fortunes n’ont guère permis la formation d’une classe intermédiaire d’hommes qui possèdent tous les talens nécessaires pour exercer l’agriculture avec succès et se destinent néanmoins à rester de simples contre-maîtres. En outre, la position un peu fausse des régisseurs, qui ne sont à leur place ni dans le château avec les maîtres, ni dans les communs avec les domestiques, ni dans les écuries avec les laboureurs, nuira toujours chez nous au développement et au perfectionnement de cette classe. En France, nous ne sommes pas faits pour les situations ambiguës ; nous ne savons ni les bien diriger ni les bien accepter. Les positions intermédiaires sont faciles dans les hiérarchies militaire, administrative, commerciale et industrielle, parce que les heures de contact sont limitées, et que dans les villes les résidences sont séparées et les sociétés indépendantes. À la campagne au contraire, l’isolement de la ferme multiplie les rencontres, les rapports, les difficultés de conduite. Or, pour être un bon régisseur, il faut non-seulement bien savoir l’agriculture, mais la pratiquer avec autant de prudence et de sollicitude que s’il s’agissait de la gestion de ses propres intérêts ; il faut enfin avoir assez de tact pour rester en toute occasion et à égale distance l’employé du propriétaire et le supérieur des autres agens. Évidemment de tels hommes sont rares. S’ils ont des ressources suffisantes, ils préfèrent prendre une ferme à leur propre compte, et si leur famille manque du capital nécessaire pour les établir, ils n’auront probablement guère eu l’occasion d’apprendre sérieusement leur métier, le nombre des domaines exploités par voie de régie n’étant pas assez considérable chez nous pour que les jeunes gens étudient l’agriculture en vue d’emplois aussi éventuels. Que l’on consulte à ce sujet les distributions de primes et de médailles faites tous les ans dans les concours et les comices aux cultivateurs qui ont su réaliser économiquement les améliorations les plus importantes. Propriétaires, fermiers, serviteurs les plus modestes, tout le personnel de l’agriculture figure sur ces listes glorieuses, et cependant combien de régisseurs y voit-on cités par leurs maîtres ?

Le régisseur a besoin d’une grande autorité. Sans contrarier son action par des contre-ordres importuns, le propriétaire foncier doit maintenir sa gestion dans les limites résolues tout d’abord, stimuler