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tout il s’agit de produits aussi variables que le vin, la soie, etc., devenir excessive. Comment, dans cette situation, organiser un budget régulier et amortir par des économies faites pendant les bonnes années les pertes éprouvées pendant les périodes mauvaises ? Évidemment on flotte toujours entre une avarice et une prodigalité également fâcheuses. D’ailleurs le métayer ne paie pas en argent ses redevances ; le plus souvent il livre en nature au propriétaire la part qui revient à ce dernier. Celui-ci supporte donc l’ennui et les risques de la vente des denrées ou animaux dont il dispose. Ordinairement il est moins habile à discuter les prix, moins enclin par son éducation et ses habitudes à employer les ruses, les supercheries commerciales qui sont assez familières au paysan ; il subit alors dans les marchés qu’il consent un nouveau préjudice. On conviendra sans doute que de telles nécessités et de telles alternatives ne sont bonnes pour personne, qu’elles nuisent aux progrès de la richesse sociale, et maintiennent dans une position difficile les familles qui ne peuvent s’y soustraire.

La situation matérielle du métayer est incontestablement plus régulière. Il vit sur la ferme des produits qu’il récolte, sans réaliser, il est vrai, de gros bénéfices qui lui permettent d’améliorer beaucoup son sort et de se faire une condition plus libre, mais aussi sans aventurer et perdre jamais assez pour se trouver entièrement ruiné, car il est bien rare qu’en cas d’extrême malheur le propriétaire n’intervienne pas un peu. Cette généreuse intervention est d’ailleurs d’autant plus fréquente que, le petit propriétaire cultivant presque partout lui-même son héritage, le métayage se rencontre principalement sur les grands et sur les moyens domaines, c’est-à-dire sur ceux qui appartiennent à des hommes ordinairement assez riches pour aider leurs colons dans les cas d’extrême détresse. Pour tout dire, le métayer est un ouvrier tout à la fois indépendant, domestique, spéculateur, entretenu par son maître, qui achète la sécurité par le renoncement aux grands succès, mais qui dans cet état de choses même trouve et conserve une médiocrité presque conforme à ses goûts.

Nous avons dit que le métayage n’avait pas toujours sur la probité des paysans une influence très favorable. Un agronome qui connaissait bien certaines contrées soumises à ce mode de culture, et qui d’ailleurs s’est occupé avec une profonde et savante attention de tout ce qui concerne l’économie rurale, M. de Gasparin, croit au contraire « qu’il est difficile de trouver une classe plus généralement honnête que celle des métayers, et que ceux-ci, par leur exemple, agissent avantageusement sur les prolétaires. » Quelque respectable que soit l’autorité de ce bienveillant témoignage, un