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Le décret maintint d’abord et fortifia les justes droits du fisc à l’égard des débiteurs de l’état, ceux des villes à l’égard de leurs redevables, et du prince à l’égard de ses esclaves. L’église qui aurait protégé leur retraite ou facilité leur évasion fut déclarée solidaire de la dette, qui put être recouvrée sur le trésor de ladite église, indépendamment de poursuites personnelles à exercer au besoin. En matière criminelle, il fut établi que les clercs et les moines pourraient former appel à la juridiction supérieure en faveur des coupables réfugiés dans leurs églises ou dans leurs couvens, mais qu’ils ne pourraient les soustraire aux officiers de la justice ; que, s’ils le faisaient, la responsabilité en retomberait sur l’évêque, qui doit enseigner le devoir à ses subordonnés, et non les porter à violer les lois. Ces dispositions générales étaient combinées de manière à rendre le gouvernement maître des individus réfugiés sous l’accusation de crimes quelconques. C’était enlever aux églises, implicitement et sans le dire, tous les criminels d’état, et une loi du 4 septembre 397 fit bientôt connaître à l’empire ce qu’Eutrope entendait par criminels d’état. Cette loi, statuant sur les questions de lèse-majesté, entoura de pénalités terribles non-seulement les attentats contre le prince et sa famille, mais les complots contre ses ministres et ses officiers. Ce dernier genre d’attentat fut puni de la mort, de la confiscation des biens et de la mise hors la loi des fils des condamnés, qui durent être notés d’infamie et privés du droit de posséder : loi atroce, qui se liait évidemment à celle des asiles et faisait corps avec elle ; Eutrope voulait rendre les autels complices de ses vengeances. La loi des asiles en elle-même et dans son principe pouvait être bonne ; dans l’intention d’Eutrope et comme garantie de la loi du 4 septembre, elle devenait mauvaise et impie : elle enlevait à des innocens condamnés d’avance le seul recours qui leur restât en ce monde, la protection du sanctuaire. Aussi l’opinion publique prit fait et cause pour le clergé quand celui-ci déclara la loi des asiles attentatoire à ses immunités. Eutrope, qui avait joui jusqu’alors de toute sa faveur, et qui avait cherché à la mériter par des lois d’une sévérité excessive contre les hérétiques, vit dès lors l’église catholique se retirer de lui. Une des conséquences de l’odieux procès de Timasius fut ainsi d’enlever au persécuteur un des plus fermes soutiens de sa puissance.

Eutrope du reste avait atteint le but qu’il se proposait par l’immolation de ses deux victimes. Une sombre épouvante régnait partout ; on craignait de prononcer son nom : « Nul dans Constantinople n’osait plus le regarder en face, nous dit un historien, et sa tête se perdait dans les nues. » Profitant de la stupeur publique, il se conféra à lui-même une magistrature, on ignore laquelle ; mais on sait