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l’on n’a pas tenu compte de l’effroyable tyrannie, énervante et abrutissante, à laquelle ce malheureux peuple venait d’être inopinément arraché. C’est tout au plus s’il en croyait ses yeux. Dans les rues, il nous regardait passer avec étonnement, il ne savait quelle contenance avoir ; il eût bien voulu battre des mains, mais il avait peur de se compromettre, car « le Bourbon pouvait revenir. » Pour lui, la police, — le seul gouvernement qu’il ait jamais connu, — est partout, dans la rue, dans la maison, à la campagne et sur la mer. Comme Angelo, il pouvait dire : « J’entends des pas dans mon mur ! »

D’autres ont raconté, avec preuves à l’appui, les femmes fouettées, les hommes emprisonnés, exilés, confisqués, la pensée persécutée partout où elle essuyait de rouvrir ses yeux brutalement fermés : je n’ai donc pas à y revenir. Le système gouvernemental des Bourbons de Naples avait réussi non-seulement à irriter les peuples, mais à inquiéter les rois, qui crurent devoir faire des observations justifiées par l’état des choses. Le roi Ferdinand, qui emportera vers la postérité le terrible surnom de Bomba, ne voulut rien entendre : il fut inexorable dans son système. Il était roi de droit divin, et ne devait compte de ses actions qu’à Dieu, de qui seul il relevait. Il continua donc à gouverner selon son bon plaisir, n’appelant dans ses conseils que sa propre volonté. En cela, il fut conséquent à son principe, et poussa la logique jusqu’à des actes injustifiables. Aucune des iniquités qu’il a accomplies n’a pu même atteindre et troubler sa conscience, car il avait obtenu de celui qui lie et qui délie pour la terre et pour le ciel des indulgences plénières et quotidiennes. Ainsi il échappait même à Dieu. On devine à quel excès de pouvoir un homme peut être conduit, même de bonne foi, par de semblables doctrines infusées dès l’enfance, exaltées par un entourage intéressé, si bien liées à l’âme, qu’elles en sont devenues partie intégrante, surtout quand, pour les appuyer, les faire valoir ou les défendre, on a des budgets et des armées. Est-il étonnant alors que tout ce qui ne les subit pas aveuglément soit considéré comme anarchique et révolté ? « Tout ce peuple est à vous, » disait le duc de Villeroy à Louis XV enfant. Qu’attendre d’hommes instruits de cette manière ?

Le jeune François II fut sévèrement élevé dans ce système, en dehors duquel son père ne comprenait pour un souverain ni morale ni religion. Entre le peuple et son roi, il n’y avait en quelque sorte que deux intermédiaires, l’agent de police et le prêtre : l’un qui rétrécissait et régularisait violemment la vie jusqu’à la rendre automatique, l’autre qui guidait l’âme dans les voies de la servitude absolue. « Le roi est le représentant de Dieu sur la terre, la révolte contre le roi n’est autre que la révolte contre Dieu, et elle entraîne la damnation éternelle. » Quand un peuple a été dirigé par de pareilles